“Je l’ai fait moi-même” : comment l’action sociale oublie ceux qu’elle prétend aider
Un milieu qui doit également faire son auto-critique.
Dans le domaine de l’action sociale, la conviction de “savoir” écrase trop souvent la possibilité d’écouter. À force de vouloir aider sans entendre, on finit par oublier la dignité et la parole de ceux qui vivent ces histoires au quotidien. Derrière les bonnes intentions de l’action sociale, se cache parfois un mur d’arrogance et de certitudes. Les enfants, les personnes handicapées, les anciens détenus : autant de voix qu’on prétend “aider” mais qu’on refuse d’écouter pour de vrai. Ce thread est une invitation aux “sachants” à poser un instant leur égo de côté et à laisser enfin la place aux mots de ceux qui vivent vraiment ces réalités.
Comment l’action sociale oublie ceux qu’elle prétend aider :
Ça c'est vraiment un problème majeur dans l'action sociale : les professionnels sont toujours profondément convaincus de tout savoir du public avec lequel ils travaillent, refusent la remise en question par les concernés, se posent en omniscients.
Je le sais bien, je l'ai fait : https://t.co/bh4JejHdq3— EliseV – ex dessineuse et grande gueule (@_Aidenn_) June 2, 2025
J'ai commencé ma carrière en tant que médiatrice de quartier. Les petits jeunes qui traînent dans les halls d'immeubles ? Bah ils sont mal éduqués par des parents demissionnaires, heureusement que t'es là pour leur apprendre le respect.
Ensuite j'ai été médiatrice familiale,— EliseV – ex dessineuse et grande gueule (@_Aidenn_) June 2, 2025
Enquêtrice de personnalité et contrôleuse judiciaire. Les justiciables dont je gérais les dossiers ? Des parents cas sociaux, des gens pleurnichards et des personnes en reinsertion incapables de se gérer. Heureusement que t'es là pour leur rappeler que leur gosse est la priorité,
— EliseV – ex dessineuse et grande gueule (@_Aidenn_) June 2, 2025
Que la loi est juste, et qu'ils doivent être reconnaissants qu'on leur trouve un job de merde en sortie de prison.
Ensuite, j'ai bossé avec des jeunes en rupture scolaire. Ces mômes de quartier, sans repaires ni valeurs, heureusement que t'es là pour leur expliquer qu'ils doivent— EliseV – ex dessineuse et grande gueule (@_Aidenn_) June 2, 2025
Servir la société pour mériter son respect !
Voilà ce qu'on pense. Et en plus on est fier, certain d'être utile, de "bosser dans l'humain", et "si j'en aide même juste un mon job, et donc ma vie, ont du sens"
Sauf qu'on n'écoute pas les gens.— EliseV – ex dessineuse et grande gueule (@_Aidenn_) June 2, 2025
On écoute pas le jeune qui squatte le hall pour pas voir ses parents se taper, et qui se defonce pour oublier qu'il va nulle part.
On écoute pas les parents épuisés et morts d'angoisse de mal faire.
On écoute pas les gens qui ont transgressé la loi un peu, pas plus que quiconque— EliseV – ex dessineuse et grande gueule (@_Aidenn_) June 2, 2025
On écoute pas l'ex détenu qui voudrait être vu autrement que comme un déchet.
On écoute pas les mômes qui errent dans la rue juste quelques heures pour redevenir, rien qu'un moment, des enfants, au lieu de gérer les petits frères et sœurs et les traductions du compte rendu— EliseV – ex dessineuse et grande gueule (@_Aidenn_) June 2, 2025
Du docteur que la maman ne peut pas lire seule.
On s'en fout de ça. Du cercle vicieux qui attend le jeune, des parents qui vont rentrer en pleurant et en pensant à se tuer, des petits délits qui vont perdre leur job, de l'ex détenu qui doit vivre en sachant qu'il sera toujours— EliseV – ex dessineuse et grande gueule (@_Aidenn_) June 2, 2025
Considéré comme un sous citoyen, du gosse qui sera orienté en btp pas par envie mais parce qu'il n'imagine même pas avoir la capacité d'aller en général, et puis faut bien aider le père…
On s'en fout. On rentre chez nous, avec le plein d'histoires misérables et tristes, et— EliseV – ex dessineuse et grande gueule (@_Aidenn_) June 2, 2025
Avec la certitude de faire quelque chose qui compte. C'est pratique, c'est rassurant, ça évite de se questionner.
Du coup, quand un jeune, un parent, un ex taulard, un môme de quartier prend la parole, dit tout haut que ce qu'on fait soi-disant pour lui c'est du vent,— EliseV – ex dessineuse et grande gueule (@_Aidenn_) June 2, 2025
On se sent agressé. On répond, sans écouter une fois encore, on le réduit au silence en expliquant qu'il ne comprend rien, que nous on sait, enfin, c'est notre métier !
Si on pouvait poser notre ego un instant, ce serait pourtant tellement mieux…— EliseV – ex dessineuse et grande gueule (@_Aidenn_) June 2, 2025
Désolée pour ce fil décousu, il est tard et c'est un sujet complexe. Il m'a fallu des années pour commencer à remettre en question mes métiers et la posture qu'ils me donnaient. Pour commencer à admettre que je ne savais pas mieux que les autres ce qui était bon pour eux.
— EliseV – ex dessineuse et grande gueule (@_Aidenn_) June 2, 2025
Il a fallu, en fait, que je le vive de l'autre côté, quand mon mari est devenu handicapé et que j'ai vu les professionnels qui gravitaient autour de lui nous assurer qu'il ressentait telle chose, avait besoin de tel truc, alors que lui me disait autre chose.
J'ai vu les toubibs— EliseV – ex dessineuse et grande gueule (@_Aidenn_) June 2, 2025
Le mettre sous antidépresseurs par certitude que son avc et son handicap associé l'avaient forcément plongé dans la dépression, alors que ça n'a jamais été le cas.
J'ai vu les kinés lui assurer que, s'il ne faisait pas le max pour récupérer la mobilité de sa main,— EliseV – ex dessineuse et grande gueule (@_Aidenn_) June 2, 2025
Il ne se sentirait plus jamais autonome. J'ai vu des agents de la mdph le pousser à faire des jobs de merde pour "récupérer sa dignité".
Et tous étaient, je pense, certains d'agir au mieux, dans son intérêt. Certains d'aider, comme je l'étais autrefois dans mes métiers.— EliseV – ex dessineuse et grande gueule (@_Aidenn_) June 2, 2025
Sauf que ce n'était pas ce qu'il voulait, ni ce dont il avait besoin.
Personne ne lui a demandé.C'est pour ça que je suis désormais incapable de travailler dans le secteur que je maîtrise depuis 20 ans. Parce que je ne serais plus capable de faire sans demander.
— EliseV – ex dessineuse et grande gueule (@_Aidenn_) June 2, 2025
Il est temps pour les professionnels de l'action sociale de se remettre profondément en question, parce qu'à force d'imposer ce qu'on perçoit comme des normes et des certitudes, on finit simplement par ne plus servir à rien.
— EliseV – ex dessineuse et grande gueule (@_Aidenn_) June 2, 2025
Bonus :
En 2022, @_Aidenn_ nous expliquait justement son quotidien avec son mari atteint d’aphasie :
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