Comment l’URSS a cartographié la planète en pleine Guerre froide
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Comment les Russes s’y sont-ils pris pour cartographier la planète entière en pleine Guerre froide ? En voilà une question qu’elle est bonne ! Sans doute ignoriez-vous même que les Soviétiques s’étaient attaqués à pareil chantier, eh bien non seulement maintenant vous le savez, mais en plus dans quelques instants vous connaîtrez tout sur ce pan d’histoire assez incroyable et bigrement intéressant.
Un thread de @JulesGrandin
Merci à lui pour ce fil très complet qui nous explique comment l’URSS a cartographié la planète pendant une période aussi complexe.
1.
☭🌏🔎
Si on veut dominer le monde, encore faut-il le connaître.
Bien au courant de ça, l'URSS se lance tout au long du XXe siècle dans un chantier (presque) impossible : la cartographie de… L'ENSEMBLE DE LA PLANÈTE, à différentes échelles et dans le plus grand secret ⬇️⬇️⬇️ pic.twitter.com/SJGTSkwSAu
— Jules Grandin (@JulesGrandin) February 27, 2024
2.
Le but de la manœuvre ? La connaissance la plus précise possible de son propre territoire, et de celui de ses adversaires.
Le résultat ? Plus d'un million (!) de cartes et plans représentant l'URSS et ses adversaires de l'Ouest
— Jules Grandin (@JulesGrandin) February 27, 2024
3.
Ce projet était d'une ampleur considérable, mais aussi frappé du secret le plus absolu, les cartes étant un élément clé de toute campagne militaire. Il est donc difficile de le quantifier précisément, mais on sait qu'il s'est déroulé en plusieurs étapes
— Jules Grandin (@JulesGrandin) February 27, 2024
4.
Dans un premier temps, les soviétiques cartographient leur propre territoire : à partir de 1918, ils commencent la mise à jour de la première carte topographique impériale qui datait de 1801 et établissent une carte de Russie au millionième
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5.
A partir des années 1950, ils étendent ce projet à l'ensemble de l'URSS, puis au monde !
L'ensemble de la planète est cartographié au millionième et au 1:500 000°, puis certaines zones d'Europe, d'Afrique ou d'Asie au 1:200 000° et au 1:50 000°
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6.
Le tout assorti d'un grand nombre de plans de villes au 1:25 000° (1 cm = 250 mètres), voire au 1:10 000°, une échelle très précise.
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7.
Voici par exemple la carte M31 au millionième (Nord de la France + Angleterre), la même au 1:500 000° (Angleterre), puis au 1:200 000° (l'est de Londres), puis au 1:25 000° (centre de Londres) pic.twitter.com/DdbzQvheIE
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8.
L'ampleur du projet n'est cependant pas sa seule caractéristique. Il est également remarquable de par sa très grande précision (parfois meilleure que les cartes américaines ou anglaises) et par son fourmillement de détails
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9.
En témoigne cet extrait de la légende présentant les différents types de ponts : largeur, poids supporté, type de construction… Tout est indiqué, consigné, légendé pic.twitter.com/RnXlWNFzxb
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10.
La précision de cette cartographie secrète est d'autant plus intéressante que les cartes publiques russes étaient à l'époque volontairement déformées et erronées, au cas où elles viendraient à se trouver entre de mauvaises mains
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11.
Cette déformation cartographique était une consigne officielle : les cartes ne devaient pas permettre la « reconstruction » de l'ensemble du pays et de sa géographie. Les tracés des fleuves et des routes étaient faussés.
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12.
Cerise sur la carto : l'invention d'un nouveau système de projection donnant lieu à des déformations aléatoires : la projection de Ginzburg, inventée par Georgiy Aleksandrovich Ginzburg pic.twitter.com/vMRped1iYY
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13.
Cette notion de double niveau de précision dans la cartographie russe est très bien détaillée dans cette étude d'Alexey Postnikov datant de 2002 : « Double standards of map accuracy in soviet cartography » ⬇️ https://t.co/Ql8lMOxlNY pic.twitter.com/8Kq99azyDI
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14.
Mais comment faire pour avoir une telle précision cartographique en pleine Guerre Froide, avec les moyens techniques de l'époque ? Trois moyens :
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15.
Tout d'abord, la copie des cartes occidentales de l'Ordnance Survery (🇬🇧) ou de l'USGS (🇺🇸), accessibles au public au format papier ou atlas, et qui ont pu assez facilement être rapportées en URSS pour être copiées
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16.
Puis, la reconnaissance aérienne cartographique (à partir des années 1940) et (surtout) le lancement des premiers satellites espions russes à partir de 1962 deviennent des outils incontournables
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17.
Enfin, les cartes ont été enrichies par des espions sur le terrain. La plupart des cartes sont annotées et formulent des précisions impossibles à obtenir autrement que sur place.
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18.
Certaines cartes de Chine précisent si l'eau des étangs ou des puits est potable. Celles d'Afghanistan indiquent à quelle période de l'année les cols et les passes sont franchissables.
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19.
Encore mieux : certains plans de villes présentent des entreprises dont les activités étaient à l'époque inconnues du grand public ! C'est le cas sur la carte de Seattle, où un pictogramme indique une usine de… fabrication de torpilles sous-marines !
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20.
Sur Seattle, la comparaison entre la carte soviétique de 1973 et celle (américaine) de l'USGS montre bien l'impressionnant niveau de détail des cartes soviétiques pic.twitter.com/MA1NLtxj0w
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21.
C'est encore plus visible sur la comparaison de la carte de Pembroke (🇬🇧) par les soviétiques (1950) et par les anglais de l'Ordnance Survey (1953). Avec la version Google Maps en bonus pic.twitter.com/1g18EuDbry
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22.
La carte de Chatham (🇬🇧) montre l'usine de fabrication des sous-marins de la Royal Navy, et indique la capacité et la largeur des ponts. Une information extrêmement sensible, qui n'était pas présente sur la carte Ordnance Survey contemporaine pic.twitter.com/LI8raFBpvM
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23.
Celle de San Diego (🇺🇸) présente aussi des détails sur les installations militaires navales qui n'apparaissent pas sur la carte américaine. Elle est aussi accompagnée d'un long texte qui fourmille d'informations : transports, télécommunications… pic.twitter.com/NSp4ct0ksp
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24.
… mais aussi profondeur des voies d'eau, longueur de la piste d'aéroport, informations sur la température, les usines, les fermes voire sur l'urbanisme générale de la ville (indications sur la présence de jardins en fonction des quartiers)
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25.
Sur la carte de Londres, on peut voir figurer en vrac : les ministères, les cours de justice, Scotland Yard, les bureaux de postes, la BBC, la mairie, les universités, les quartiers généraux de la marine… mais aussi les stations de métro et les jardins de Hyde Park ! pic.twitter.com/XHPWT4gLSv
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26.
Le terrain permet de faire figurer des informations capitales en cas ou de conflit : camps militaires, sites industriels, profondeur des canaux, état des routes, écart entre les arbres des forêts… Tout un tas d'informations invisibles sur une photo aérienne ou satellite
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27.
Ce travail de fourmi mené sur des dizaines d'années est d'une telle précision, notamment dans le tracé des limites et des frontières, que ces cartes ont été utilisées longtemps après la chute de l'URSS, et certaines le sont encore aujourd'hui
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28.
Ces cartes, qui étaient frappées du secret le plus absolu durant la Guerre Froide, se retrouvent à partir des années 1990 dans toutes les mains, qu'elles soient américaines, anglaises ou russes. pic.twitter.com/p9LndY5ZBQ
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29.
En effet, selon John Davies, 25 bases militaires soviétiques possédaient un jeu entier de ces cartes topographiques mondiales, et furent vendues au plus offrant à partir de la chute du mur de Berlin
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30.
Etrange destin que celui de ces cartes : top-secrètes tout au long du XXe siècle, la perte de l'une d'entre elles aurait alors mené le fautif directement en prison. Mais dans les années 1990, elles sont vendues au poids au prix du papier !
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31.
On sait par exemple que la collection de cartes du dépôt de Riga fut vendue à des Américains au poids : plus de 6 000 tonnes de cartes ! Les universités occidentales (Oxford, Stanford, Austin…) achetèrent aussi des lots de ces cartes en masse
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32.
Pourtant, les cartes (surtout militaires) sont des objets très protégés, encore aujourd'hui. En 2012 par exemple, un officier russe à la retraite fut condamné à 12 ans de prison pour avoir vendu un lot de 7000 cartes à un Américain ⬇️https://t.co/7IRdoo2DAc
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33.
Et la France ? Elle n'a pas été cartographiée au niveau du plan de ville, mais est couverte entièrement au 1:500 000° sur une quinzaine de feuilles dont voici celle qui contient Paris et l'Ile-de-France (et donc le Vexin ✊) pic.twitter.com/YlBlgvyX6r
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34.
Vous pouvez avoir accès à ces cartes numérisées sur votre cartothèque en ligne préférée, mais aussi sur ce site, qui en répertorie énormément, en fonction de l'échelle https://t.co/AQ92TKFzrF pic.twitter.com/1h3aAQgDOg
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35.
Mes sources pour cette histoire : ces deux https://t.co/4aQhNl2vMt excellents https://t.co/GxWDtDVLsT articles de @WIRED, un autre https://t.co/hGGZoiLKvI
de @NatGeo, le site du « Red Atlas » https://t.co/3HNIuPnDva et cette note de blog https://t.co/sqNkxXBmNF pic.twitter.com/nOvYXEwBHG— Jules Grandin (@JulesGrandin) February 27, 2024
Voilà, c’est la fin de ce thread très intéressant qui nous a replongé.es en pleine Guerre froide. Pour vous réchauffer un peu, sachez que vous pouvez nous suivre sur Twitter, Facebook, Instagram et Threads, et que ci-dessous vous trouverez un top 15 des meilleurs tweets anglais de la semaine :