Thread : Éric Zemmour est-il vraiment fasciste ?
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Le désormais candidat à la présidentielle Éric Zemmour est souvent traité de fasciste par l’extrême gauche. Ses admirateurs prétendent qu’il s’agit d’un moyen pour le diaboliser et ainsi l’empêcher de développer ses idées. Quelques éléments de réflexion sur ce qu’est le fascisme.
Un thread de @malopedia
"Zemmour est pas fasciste, de toute façon vous les gauchos vous traitez tout le monde de fachos, ça marche plus…"
Bonne question ça, Zemmour est-il fasciste ?
En 1995, Umberto Eco, sémiologue qui a grandi sous Mussolini, publie "Reconnaître le fascisme". Dedans…👇
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Dedans, il donne une liste de 14 caractéristiques et éléments discursifs qui sont des signes avant coureurs du fascisme.
Je laisse chacun se faire son avis, mais je donne celles que Zemmour coche selon moi, dans ses positions publiques :— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
1 – Le culte de la tradition ✅
2 – Le refus du modernisme, de la modernité ✅ (surtout sociale)
3 – Le culte de l'action pour l'action ✅, penser est suspect, la culture aussi, les universités sont un repaire de communistes— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
4 – La condamnation de tout désaccord ✅, dissentir est trahir
5 – La peur de la différence, la xénophobie ✅
6 – L'appel à la frustration ressentie (à tort ou à raison) par les classes moyennes ✅— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
7 – Le nationalisme ✅, qui passe par l'obsession du complot étranger/international, mais aussi du complot des ennemis de l'intérieur
8 – L'adversaire est opulent, dépravé, décadent, à la fois trop fort et trop faible— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
9 – La haine de la paix ✅, parce que la vie doit être une guerre permanente
10 – Le mépris des faibles ✅
11 – Le culte de l'héroïsme ✅, uniquement conçu comme le culte du sacrifice ultime, de la mort— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
12 – Le machisme et la condamnation de toute déviance de la norme sexuelle hétéro-masculine ✅ (liberté sexuelle, homosexualité, transidentité, etc…)
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
13 – La négation de la volonté démocratique commune, le leader en étant le seul interprète valable ✅, ce qui mène au culte du chef, à l'anti-parlementarisme et au rejet de la démocratie réelle
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
14 – La novlangue orwellienne (qui, pour rappel, n'est pas le fait de créer de nouveaux mots pour désigner de nouvelles choses, mais de réécrire le sens des mots existants)
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Si vous voulez ça sous forme d'image, ça peut être utile. pic.twitter.com/n7XhBZThtr
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Ca en fait donc 12 sur 14 (selon moi, ça peut sans souci se discuter).
« Y'a pas tout donc c'est bon » ?
Non : Umberto Eco estime qu'il suffit qu'une seule de ces caractéristiques soit présente pour « faire coaguler une nébuleuse fasciste »…
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Voilà pourquoi on dit que Zemmour est fasciste. Voilà aussi pourquoi on est nombreux à penser que Marine Le Pen l'est aussi malgré son ripolinage, sa normalisation (je lui ajouterais les points 8 et le 14, en lui enlevant partiellement le 13 et le 9).
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
On voit bien que certains de ces points s'imbriquent logiquement.
Surtout, bien sûr, chacun n'est pas exclusif au fascisme, les victimes du stalinisme ont par exemple bien connu le point 4 (désaccord = trahison).— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
D'ailleurs, dans le texte entier, (sans s'y attarder parce que c'est pas son objet) Eco différencie bien fascisme et totalitarisme, le stalinisme relevant du second terme bien plus que du premier.
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Puisqu'on parle du texte entier, si vous voulez le lire, ça fait 50 pages, ça se lit très bien et très rapidement, et ça se trouve ici, par exemple (Eco est décédé, donc vous ne volez personne).https://t.co/NQquQOYXPb
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Et tant qu'on y est, pour les flemmards, un peu plus d'éléments sur ce qu'il y dit, plus loin que les 14 points auxquels on résume souvent le texte :
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Le premier élément important à comprendre, selon lui, est que s'il faut attendre de revoir Mussolini ou Hitler à l'identique pour parler de fascisme, alors oui, on peut arrêter de chercher… pic.twitter.com/CqEisWVKcE
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Le second élément, lié au premier, est que le fascisme est multiple, parce qu'il est une « désarticulation politique et idéologique ordonnée », opportuniste, un patchwork bordélique d'idées avec une cohérence douteuse (p25, p31) pic.twitter.com/YCa1XsTv8q
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Dont le fascisme italien, le nazisme, le phalangisme, l'austrofascisme, le rexisme, etcaetera, sont des déclinaisons, qui partagent un « air de famille » sans pour autant être parfaitement identiques. pic.twitter.com/WTAcSe4FLD
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
C'est pour ça que les 14 caractéristiques typiques qu'il liste sont celles de ce qu'il appelle l'« ur-fascisme », c'est à dire le « fascisme primitif et éternel », la matrice originelle des différentes manifestations du fascisme.
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
D'ailleurs, ça m'amène à une parenthèse (quoi que liée au tout premier tweet de ce fil) quant au fait que la gauche aurait par le passé désigné beaucoup, et peut-être trop, de gens comme fascistes.
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Difficile de lire les 14 caractéristiques et de ne pas en retrouver un certain nombre, certes moins mais quand même, chez des droites souvent décrites comme plus républicaines que l'extrême droite.
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
J'ai longtemps estimé que malgré cela, ces droites conservaient une différence fondamentale avec l'extrême droite : l'acceptation de la République, c'est à dire des contre-pouvoirs, de l'état de droit, du jeu démocratique, de la possibilité de l'alternance, etcaetera
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Autrement dit, beaucoup plus concrètement, que quand ils sont au pouvoir, ils font des trucs que je désapprouve sévèrement (que pourraient d'ailleurs parfois envisager des dirigeants fascistes)…
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Mais au moins, les droites républicaines ne nous fusillent pas et cèdent la place quand la gauche gagne.
Et qu'en retour, il fallait faire l'effort, malgré le fait qu'ils tendent souvent le baton, de ne pas les amalgamer aux fascistes, sur qui on a pas hésité à tirer en 39.
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Mais quand on voit les porosités de plus en plus fortes, les Buisson, Morano, Ciotti, Peltier, qui s'allient ou rejoignent, ou les autres LR (et LREM…), qui, sans s'allier ou rejoindre, épousent et reprennent les discours intégralement…https://t.co/0WOuOBm0Ao
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
En vérité (et c'est pas nouveau hein, on le sait depuis les "plutôt Hitler que le Front populaire"), de trop nombreuses droites sont compatibles avec le fascisme. Et c'est un problème.
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Pour nous bien sûr, mais à terme aussi, pour eux, parce que personne ne gagne au retour du moment où on faisait de la politique avec des fusils et des meurtres.
(Parce que rappel, la politique, c'est la continuation de la guerre par d'autres moyens (et pas l'inverse))— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Alors je ne sais pas s'ils ont raison dans leur stratégie, mais ceux qui crient très souvent au fascisme ont bien trop souvent raison sur le fond. Mon humble avis, c'est que c'est pas à eux qu'il faut le reprocher, mais aux droites concernées.
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Et réfléchir aux raisons qui font que des idéologies comme par exemple le présidentialisme gaulliste, sans aucun doute malgré lui, ne peut pour des raisons structurelles que déboucher à terme sur des dérives fascistes.
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Fin de la parenthèse.
Pour revenir au texte d'Eco, je vous en conseille à nouveau très vivement la lecture, en particulier parce que toute tentative (dont la mienne) de résumer en liste fait disparaître les nuances du texte.
Je vous remets le lien https://t.co/NQquQOYXPb pic.twitter.com/QcUbJ2X0U5— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
Pour finir, il y a bien sûr des critiques à faire au texte (je ne suis par exemple pas d'accord quand il dit p22 que le fascisme n'était pas complètement totalitaire parce que son idéologie n'était pas un corpus totalement cohérent
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
il me semble que par totalitaire, on entend plutôt un contrôle total sur tous les aspects de la société)
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021
et il existe bien entendu d'autres définitions du fascisme (au fond, celle consistant à dire que Zemmour n'est pas fasciste, en est une, délirante, certes). Mais j'aime bien celle d'Eco qui rappelle la complexité du danger, plutôt que des définitions monolithiques.
— François Malaussena (@malopedia) December 1, 2021