Thread : de la difficulté d’être un médecin de campagne
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Dans certaines régions, le nombre de médecins est tellement faible que s’y installer en tant que libéral peut sembler une bonne idée. Le problème c’est qu’on se sent alors responsable de patients qui ne font qu’augmenter en nombre. Il devient alors très difficile ensuite de se préserver, le burn-out n’est plus loin. Ce qui semblait au départ être un rêve éveillé se transforme en cauchemar. Il n’y alors plus d’autre choix : le docteur doit partir.
Un thread signé @BisCedric
Mon 1er thread, et peut être le dernier ? Il restera sans doute confidentiel, mais je pense que s'il peut servir à une seule consœur, un seul confrère, ou un seul patient alors je ne l'aurai pas fait en vain.
En résumé : pourquoi je ferme mon cabinet de MG— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Je ferme mon cabinet de MG alors que je suis installé depuis près de 4 ans, après 3 ans de remplacements. Ma patientèle est sympa. Mes finances sont excellentes. J'ai une femme merveilleuse et des enfants adorables.
Mais alors pourquoi ?
Retour en arrière— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Nous sommes en 2015. Je suis encore interne mais ayant ma licence de remplacement je fais mon 1er rempla sur 6 semaines, au milieu de 6 mois de disponibilité (pour les non med : 6 mois où je ne suis pas en stage – et non rémunéré)
— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Ces 6 semaines, c'est juste Byzance à mes yeux : des horaires plutôt cools, une patientèle jeune dans le Val d'Oise, le sentiment de faire ce pourquoi j'étudie depuis près de 9 ans : la médecine générale. Et faut reconnaître que ça paie (très) bien pic.twitter.com/Pvz1V1edIY
— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Depuis que je suis rentré en P1 (1ère année de médecine), j'ai toujours voulu faire généraliste, et idéalement en semi-rural. Aussi, lorsque j'apprends qu'une jolie petite ville à environ 80km de Paris a un MG sur le départ, je sens l'occasion
— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Je remplace ce médecin, adorable, très empathique et éthique (bref un modèle à mes yeux) pendant 2 ans, puis vint sa retraite au 30 juin 2017. Je prends la relève illico au 1er juillet 2017.
J'ai tout prévu : les bons logiciels, le bon fonctionnement— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Je ne vais pas faire comme tous mes collègues, que je juge (stupidement) moins malins que moi : je vais me protéger, mettre des limites, je verrai la veuve et l'orphelin chaque fois qu'ils en auront besoin, pas comme ces Professeurs qui sont tout le temps au golf pic.twitter.com/8GePn9mRY0
— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Et ça commence très bien : mon agenda est plein, je déclare près de 1200 patients en 2 mois, mon compte en banque implose de revenus, et ma conseillère m'appelle pour me proposer un rdv parce que "vous savez, on aime bien les jeunes médecins" pic.twitter.com/4gpWSEC9mC
— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Je fais alors une de mes premières erreurs : je ne ferme pas les vannes aux nouveaux patients. Non, je ne serai pas comme ces médecins capables de laisser de pauvres patients sans MG.
J'arrive progressivement à 1500 patients déclarés. Mais comment ?— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
D'abord, en étendant mes horaires. Je passe de journées de 10h (dont 1h de pause) à des journées de 12h. Puis je rogne la moitié de la pause ("ça va, 30 min pour manger c'est large")
Et je continue d'accepter des patients… Évidemment !— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Mais ça ne suffit pas. Je déborde chaque hiver. Puis au printemps aussi. Et même parfois durant l'été. Je sacrifie un de mes 2 jours de repos. Sans demander de reconnaissance. D'ailleurs je n'en aurai que peu (au début)
— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Je prends alors la décision dure mais nécessaire : je ferme aux nouveaux patients. Je suis alors à 1620 patients.
Encore une fois je me félicite d'avoir su dire "STOP" (toujours en pensant être plus intelligent que mes confrères et consœurs) pic.twitter.com/DRcwP6Kq1W— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Mais mon plan génial se heurte à une réalité : quand on a déclaré une femme de 28 ans, qu'elle trouve un compagnon, qu'ils ont 2 enfants. Ben impossible de les refuser ces 3 nouveaux ! Et sa grand mère en VAD exclusive qui n'a plus de MG ? Impossible de refuser également !
— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Et petit à petit, comme une vague de covid montant tranquillement pendant qu'on laisse cantines et restaurants d'entreprises ouverts (poke @mimiryudo ), ma "file active" (nb de patients différents réellement vus) passe à 2080 patients !
Et là ça ne passe plus pic.twitter.com/41dyoInNmd— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Je me retrouve à faire 80h par semaine, du lundi au samedi, parfois je rattrape mes délais en mangeant un jour férié, ou en profitant d'un dimanche de garde pour voir 20 de mes patients en rdv conventionnels.
Et ça ne suffit toujours pas. On est à 8 mois de mon installation— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Je me retrouve avec des reproches des patients sur les délais, sur comment je gère, sur le fait que j'ose prendre des vacances (4 semaines annuelles)
"Et même que votre prédecesseur, le Dr Fossile il restait jusqu'à 22h pour voir tout le monde" pic.twitter.com/rPwUX1LgEN— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Nous sommes en novembre 2018. 18 mois depuis mon installation.
Et là se produit le "déclic" : mon fils nait et j'ose prendre 2 semaines pour être auprès de madame et de mes filles.
Je n'ai même pas pu compter le nombre de réactions outrées concernant ces 2 semaines de "congés" pic.twitter.com/Cxpoyk5TD4— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
C'est là que je prends enfin conscience de ma connerie. Mais trop tard. Ma file active est de 2120 patients.
Je n'ai plus envie d'aller travailler. Je dois me botter le derrière tous les matins pour monter dans la voiture.
Alors je réagis, je prends un petit interne en formation— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Je me dis que ça me forcera à ralentir, et qu'un d'entre eux s'installera peut être avec moi après son internat pour me soulager.
Mais comme je suis vraiment très bête… Ben je ralentis pas. En fait je compense mes consults + longues avec lui en bossant + les autres jours— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Les patients râlent : "ben oui, le Dr il est de repos le vendredi maintenant, on doit attendre le samedi quand on a un problème"
"et puis il refuse de venir au domicile quand on peut se déplacer, avant le Dr Trucmuche venait même à 2h du mat pour la rhino du petit"— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Je pose les stérilets, je fais les frottis, je fais les fins de vie à domicile, je fais de la psychothérapie, des sutures, fendre des plâtres, de l'HAD, etc…
Mais j'ai l'impression d'être un quadrimoteur avec 3 en flammes et les passagers demandant qu'on accélère…— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
A ce sujet, et parce que beaucoup lui tapent dessus, je dois dire que la CPAM a été top à mon égard. Toujours conciliants, toujours de bonne volonté, ils n'ont clairement pas contribué à ma détresse. Que ce soit ma DAM, les CIS, etc…
— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Nous sommes fin 2019. Je tiens parce que je dois tenir. L'envie est totalement morte. Je n'en peux plus.
Et alors arrive le truc improbable et auquel personne ne s'attend : le covid— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Je ne vous refais pas l'histoire sur le b**** monstre que ça a causé, mais de façon paradoxal ça m'a boosté car je me suis senti comme à nouveau investi de ma mission : aider mes patients en détresse, leur porter secours pic.twitter.com/NaLlgehZLB
— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Ben c'est la douche froide. Oui j'ai bien secouru quelques patients en détresse respi chez eux, mais j'ai surtout subi des appels menaçants "parce que je suis fragile et que si vous m'arrêtez pas et que j'attrape le covid ce sera de votre faute" pic.twitter.com/XCNpd5ypvO
— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
C'est là, au printemps 2020 que j'ai décidé que j'allais arrêter d'être médecin généraliste en libéral. Mais ça ne s'est pas fait d'un coup. Un peu comme le passage curatif/palliatif, ce fut une sorte de transition, lente sur 6 mois
— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Et cela s'est cristallisé sur une plage espagnole en octobre 2020. Je regardais mes enfants rire en jouant sur la plage (à se lancer du sable mouillé, parce que franchement y'a rien de plus drôle à faire sur une plage) pic.twitter.com/SsikUGVnLT
— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Et là j'ai dis tout haut à ma compagne : "je ne peux plus rater ça plus longtemps". Je lui ai expliqué. Elle m'a compris. Elle a compris que ça voulait dire vendre la maison, vivre moins dans le confort. Mais elle a dit oui à tout
— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
La suite ça a été beaucoup de doutes, de comment je l'annonce, quand je l'annonce, qu'est-ce qu'on va dire de moi, je suis un monstre, ils vont me démolir, c'est un vrai désert médical, etc…
— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Eh ben vous savez quoi ? La majorité de mes patients me soutiennent. Comprennent et sont d'accord. Voire m'encouragent. J'en ai les larmes aux yeux à chaque fois.
Je ne voyais que les 20% de râleurs. Les autres sont en or. Et du coup je culpabilise +++— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Le 27 juin je vais retirer ma plaque. Probablement en larmes
Mais tellement fier de ce que j'ai accompli. Fier des liens que j'ai tissé. Fier d'avoir apporté ma pierre à l'édifice pendant ces quelques années. Et avec beaucoup de culpabilité— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021
Merci à toutes et tous de m'avoir lu, écrire ici m'a réconforté
Portez vous bien, prenez soin de vos proches, et ne faites pas comme moi : ne vous brûlez pas les ailes à vous croire indispensable au travail pic.twitter.com/7sLNSbvrtd— Elendir (@BisCedric) March 20, 2021