Tweetstory – Massara, 9 ans, réfugiée à Idomeni
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Le journaliste @KoliaDelesalle, en reportage dans le camp d’Idomeni, en Grèce, nous raconte brièvement à travers l’histoire de Massara et de sa famille ce que des millions de réfugiés vivent chaque jour. D’après lui, il y aurait à Idomeni « entre 9000 et 10000 réfugiés pour un camp qui peut en contenir 1500. »
Elle est allongée à l'écart, toute seule, enfouie dans un manteau sale, près d'un sac UNHCR. #idomeni
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Sa tête repose à quelques centimètres de la double clôture de barbelés pleine de rasoirs qui fait office de frontière.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Elle a 9 ans. Elle s'appelle Massara. Elle est Irakienne. Elle vient de Mossoul contrôlé par Daech depuis 2014. Elle a fui avec sa famille.
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Sa mère et ses deux sœurs sont coincées à quelques mètres de là, dans la foule qui attend devant la porte-frontière.
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Son père est là, juste à côté d'elle, il la couve d'un œil protecteur, demande aux journalistes de faire gaffe, de ne pas marcher sur elle.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Cela fait des heures que tout le monde attend, transpire, pousse, crie et le père a décidé de mettre sa fille à l'écart.
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Les policiers grecs ont laissé faire Ali. Ils ont d'autres chats à fouetter.
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Ali est instituteur, il a 40 ans, il en paraît dix de plus, comme tout le monde ici.
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Les hommes sont à l'os, trop d'épreuves, trop d'angoisses, aucune certitude.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
La vie d'avant est détruite, celle d'après est inimaginable. Ils titubent entre les deux.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Juste à côté d'Ali et de Massara, c'est la foire d'empoigne. La Macédoine refuse d'ouvrir la porte. Bousculades. Cris.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
« On est devenus des animaux, ils ont réussi par faire de nous des bêtes », marmonne un type en souriant.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Ali enfonce son bonnet sur ses oreilles, plisse les yeux, se roule une cigarette : « Nous n'aurions pas dû venir. J'aurais dû mourir ».
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Puis il regarde sa fille allongée par terre et son visage s'illumine : « C'est la meilleure élève de l'école. Comme ses sœurs. Numéro 1 ».
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
La Macédoine est là, à quelques mètres devant lui, mais il n'y croit plus tellement. Après il faudra passer en Serbie. Puis en Autriche.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Pour enfin gagner la terre promise, l'Amérique des années 2010 : l'Allemagne.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Ali n'a plus tellement de force. Sa fille gît à ses pieds et les gens hurlent, la foule trépigne. Je lui demande ce qu'il en pense.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
"Je ne pense plus."
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
En face, juste en face, des soldats habillés en Robocop fument, ou prennent des selfies, assis sur un banc. Ils s'emmerdent.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Ils sont pourtant bien placés pour regarder le spectacle du chaos. Onze mille personnes attendent de passer. Combien ont traversé hier ?
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Cent, deux cents, trente, trois cents. Personne ne sait vraiment, sauf les autorités macédoniennes qui ne disent rien.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Alors les gens tentent de tricher, de dépasser les autres, ils sont là depuis dix jours, quinze jours, rien à manger, crevards, sales.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Et puis hagards, épuisés par l'interminable roman de Kafka qu'est devenu leur vie.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
La plupart sont Syriens ou Irakiens, les seuls que la Macédoine laisse entrer, par petites grappes, après des jours d'attente.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Des Afghans errent ici ou là. Ils ne savent plus où aller. Des Iraniens aussi. Des Yézidis, des Kurdes.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Les uns n'ont pas le bon tampon sur leur papier, les autres ont vu leur nom écorché. D'autres ont une date de naissance aléatoire.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Quelqu'un à Lesbos a fait naître des centaines de Syriens un premier janvier. La flemme d'écrire la vraie date peut-être.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Mais ceux-là ne passeront pas la frontière. Les Macédoniens exigent des papiers en règle. Bonne orthographe, bonne date.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Personne ne prie dans le camp : « Il faut être propre pour prier. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
La crise est totale. MSF et les autres ONG sont dépassées par le nombre des arrivées. Pas assez de bouffe, de médicaments, de tentes.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Les derniers arrivés dorment dans les champs, sous les étoiles. Il fait très froid la nuit. Les enfants tombent malades.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Et la rivière humaine ne tarit pas, elle vient grossir chaque jour le camp au départ prévu pour 1500 personnes.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
On voit les gens arriver de loin, dans les champs, avec leurs bagages; des fourmis qui charrient toute leur vie sur leur épaule.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Des familles, la plupart du temps.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Les bus venus d'Athènes s'arrêtent à 25 Km du camp. Les gamins de 4 ou 5 ans marchent pendant 4 ou 5 heures.
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Les parents portent les sacs. Les vieux se portent tout seuls.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Devant la foule agglutinée, je demande à Ali pourquoi sa petite fille n'est pas avec ses sœurs, pourquoi elle est allongée comme ça.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Alors il sort de sa poche un papier de consultation médicale de MSF ou d'une autre ONG où l'on peut lire ce qui suit :
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« Cette petite fille perd régulièrement connaissance depuis environ un an. Elle n'a jamais vu de médecin.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
« Elle s'évanouie quatre ou cinq fois par mois. Les symptômes sont survenus après des incidents. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
« Violences et tueries juste devant elle dans son école. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
« Depuis, syndrome de stress post-traumatique intense. Pas d'appétit. Cauchemars récurrents. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
« IMPORTANT : la fille se plaint de douleurs au coeur très souvent.»
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
« Elle a besoin d'un examen médical et d'une psychothérapie dans le pays de destination ».
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Voici la fiche de consultation. pic.twitter.com/SP8c8AGM6f
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Quand on lit ce type de papier, on se dit que Massara doit être prioritaire pour passer en Macédoine. Mais, évidemment, pas du tout.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Massara n'est qu'une urgence parmi des milliers d'autres ici, d'autres enfants malades, des femmes sur le point d'accoucher.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Des traumatisés de guerre par centaines. Des blessés. Des éclopés. Des diabétiques. Des types dont les reins ne fonctionnent plus.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Le camp d'Idomeni est une urgence à ciel ouvert. Heureusement, l'Europe réfléchit à se réunir pour penser à chercher une idée éventuellement
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Quand la frontière s'est enfin ouverte, Ali, sa femme et ses trois filles ont encore dû attendre des heures.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Je ne sais pas s'ils sont passés. S'ils vont passer cette nuit. Demain. Dans plusieurs jours.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Une pluie lourde et froide s'est abattue sur le camp ce soir, juste avant que je ne reparte pour Skopje. Fucking Woodstock.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
Avant de les quitter, j'ai quand même réussi à voler un sourire à Massara. Ça n'a pas été si compliqué que ça.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) March 4, 2016
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