Thread : une épidémie de danse macabre
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Ndlr : cette histoire (ou devrais-je dire ces histoires ?) n’a rien à voir avec la Danse macabre de Camille Saint-Saëns, mais rien ne vous empêche d’écouter cette œuvre magnifique en lisant le thread.
Un thread de @historiae_sct
Durant l'été 1518, une épidémie frappe la ville de Strasbourg. Ce n'est ni la peste noire, ni le Covid.
Il s'agit d'une épidémie de danse : les gens étaient pris de spasmes frénétiques les obligeant à danser.
Un Thread macabre ⬇️
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— L'Historien Scientifique (@historiae_sct) November 8, 2022
Vous avez bien lu, il s'agit bien d'une épidémie atteignant les gens et les forçant à danser. Mais comment est-ce possible ? Est-ce un parasite, un virus ? Nous allons y venir.
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La ville de Strasbourg est en 1518 une ville libre qui appartient au St Empire Romain Germanique. Pour info, elle n'intègre la France que sous Louis XIV en 1681.
La ville libre est donc gérée par une municipalité.
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Un 14 ou 15 juillet, en 1518, une femme ne passe pas inaperçue. Cette pauvre dame est remarquée car se tortille dans la rue, sautille, fait des mouvements de jambes et de bras répétitifs. Bref : elle danse. Contre son gré.
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Malgré ce que lui aurait dit son mari, elle ne pouvait s'arrêter. Même en demandant de l'aide, rien pouvait y faire : malgré ses pieds ensanglantés, sa respiration coupée, sa sueur abondante, ses membres douloureux, la danse continue.
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On peut commencer à parler d'épidémie à partir du moment où, dès la fin du mois de juillet, plus de 50 personnes sont atteintes ! Ce sont tant de gens qui sont incontrôlables, et qui malgré leur détresse, ne peuvent s'arrêter.
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L'historien de la médecine John Waller decrit ces danses comme non pas festives mais "terrifiantes". Ces personnes sont en transe.
Cette épidémie touche tout le monde, et c'est souvent la mort qui en résulte. Même effondrés de fatigue, les pauvres continuent de danser.
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Au cours du mois d'août, ce sont plus de 400 personnes qui sont atteintes, un chiffre absolument colossal. Car en plus du nombre de pertes que cela implique, pour l'époque, ce sont 400 personnes incapables de travailler, qui sont parfois eux-mêmes un danger.
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La médecine de l'époque croyait aux "humeurs", qui sont à l'origine des maux, ceci étant lié à la chaleur du sang. Or, si on faisait des saignées habituellement, la municipalité de Strasbourg a eu la merveilleuse idée de… Construire des scènes !
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Le but était de combattre "le mal par le mal". Donc il fallait les épuiser. Pour les accompagner, des musiciens étaient même engagés jours et nuits. Une histoire de fou.
Sauf que l'épidémie se propage toujours. En constatant son échec, la ville démonte les scènes.
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Au mois d'août, l'épidémie semble s'être arrêtée, pour le bien-être des habitants de Strasbourg.
Sauf que ce n'est ni la 1ere ni la dernière fois que c'est arrivé. Entre 1200 et 1600, on dénombre près de 20 épisodes épidémiques.
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Si on retient celle de Strasbourg, c'est parce qu'elle est la mieux documentée, notamment par plusieurs personnages de la ville, et surtout le médecin suisse Paracelse.
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Une question qui nous brûle tous les lèvres : comment des gens peuvent être contaminés et danser jusqu'à la mort ??
Il n'y aurait rien de chimique dans cette histoire, tout serait psychologique.
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C'est ce qu'avance John Waller, que nous avons présenté plus tôt. Pour lui, cet état est une manifestation physique de la résignation des habitants pauvres de Strasbourg.
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Les habitants des villes occidentales au Moyen-Âge et à l'époque moderne étaient généralement plus pauvres que les ruraux, car employés avec des salaires de misère. Ces gens crevaient de faim littéralement.
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Ces gens, qui n'avaient rien, se seraient lancés inconsciemment dans cette frénésie. La contamination s'expliquerait aussi par un phénomène "d'hystérie (ou psychose) collective", un phénomène psycho bien connu. Les gens se sont entraînés mutuellement dans ce bourbier.
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Ces pré-requis ont été déclenchés par les croyances des Strasbourgeois : Saint-Guy étaient un patron lié au corps et aux agitations, qui pouvait soigner l'épilepsie, mais qui selon ces gens, pouvait maudire certains croyants.
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Ces personnes étaient donc persuadées d'être maudites, inconsciemment. C'est une théorie.
John Waller explique également que ces épisodes ont pu cessé par la diffusion du protestantisme en Europe, qui met à mal ces vieux cultes locaux et le surnaturalisme.
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De plus, l'époque moderne est une période de grande avancée scientifique (surtout les XVIIe et XVIIIe siècles). Ce rationalisme, certes inconnu de nombreux habitants, permettait toutefois de neutraliser d'anciennes craintes mystiques.
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Le dernier épisode connu de "manie dansante" est survenu à Madagascar en 1863. Après ça, plus rien, et surement pour les raisons évoquées plus haut.
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Fin du Thread.
Merci d'avoir suivi ce Thread mouvementé (🤭), n'hésitez pas à partager un max pour plus de festivités (🤭🤭).Et n'oubliez pas : le rationalisme est la solution à tout.
Portez-vous bien jusqu'à la prochaine. pic.twitter.com/BR4lrsNcUc— L'Historien Scientifique (@historiae_sct) November 8, 2022
Sources :
L'ouvrage de John Waller, que j'ai pas eu l'occasion de lire malheureusement, mais qui est le premier ouvrage scientifique sourcé pour ce sujet. pic.twitter.com/IPkZeame2w
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Les pages Wiki concernéshttps://t.co/qCnGf0BXjPhttps://t.co/nRbGMagJ4whttps://t.co/AIuvMZNA1x
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Des articles
(Celui de Waller pour la BBC notamment)https://t.co/RrbvNw2PCzhttps://t.co/D9dZZRTV7Dhttps://t.co/TFrX8YxV11
Il y a eu une exposition à Strasbourg et ça a du être drôle https://t.co/BMoEdjBC2U
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[CONTRE-THREAD]
M'étant précipité pour la rédaction de ce Thread et vous présenter ce sujet fascinant, j'en ai oublié d'être prudent. Du coup, je reviens sur les erreurs commises, qui m'ont été relevées, et je tiens à varier les théories scientifiques sur le sujet.
⬇️ https://t.co/La6lktCoa8 pic.twitter.com/eaUojwzGCv
— L'Historien Scientifique (@historiae_sct) November 9, 2022
1- le tableau utilisé n'est pas celui d'une "manie dansante" mais simplement un tableau du peintre Pieter Bruegel de 1560 "Les jeux d'enfants".
Sauf que la zizanie (volontaire) prête à confusion. Quand on cherche sur Google l'épidémie dansante de Strasbourg, on tombe dessus. pic.twitter.com/aNKUjbEVhb— L'Historien Scientifique (@historiae_sct) November 9, 2022
2- j'ai donné beaucoup trop de crédits à la thèse de John Waller qui est un vil anglo-saxon. Méfions nous des anglo-saxons.
Les travaux de John Waller extrapolent les sources, qui n'ont jamais mentionnées la mort des personnes dansant.
— L'Historien Scientifique (@historiae_sct) November 9, 2022
Il dépeint un tableau assez sombre qui est finalement très exagéré, ce qui vient éroder la validité d'une telle piste. Même si la piste psychologique reste en soi assez bonne, le raisonnement de Waller lui, est dangereux.
De plus, il en profite pour faire une critique
— L'Historien Scientifique (@historiae_sct) November 9, 2022
anti-cléricale pro-protestante, chose que j'ai gobé très facilement (mea culpa, je suis allé trop vite).
L'historienne française Elisabeth Clementz dément les travaux de Waller ici ⬇️https://t.co/unAfzRmPFN
— L'Historien Scientifique (@historiae_sct) November 9, 2022
Ce n'est pas du chauvinisme, mais le respect des sources est bien plus intransigeant de notre côté de la Manche. Et déformer les sources, c'est déformer l'histoire.
— L'Historien Scientifique (@historiae_sct) November 9, 2022
3- Du coup, une thèse qui m'a été présentée de nombreuses fois et qui semble vraiment sérieuse : l'ergot du seigle (le quoi ?)
L'ergot, c'est un champignon parasite qui s'installe dans certaines céréales comme le seigle, et qui une fois consommé par l'homme, est dévastateur. pic.twitter.com/kgVSOMnPHI
— L'Historien Scientifique (@historiae_sct) November 9, 2022
Le hic, c'est que ça n'explique pas vraiment pourquoi ils dansent (cette relation est étonnante).
L'ergotisme (souffrir de l'ingérence de l'ergot dans l'organisme) était connu au MA, mal identifié mais on savait qu'il provoquait d'intenses brûlures et la gangrène. pic.twitter.com/ohjzXpbPTP
— L'Historien Scientifique (@historiae_sct) November 9, 2022
Les victimes Strasbourgeoises de 1518 étaient-ils sujets à ces maux ? Là c'est difficile à dire, les sources ne le disent pas. Je n'ai d'ailleurs pas les compétences pour tabler dessus. Ici, on fait de la vulgarisation comme on peut, et bien sûr, je fais des erreurs. pic.twitter.com/N5I4rZEdWQ
— L'Historien Scientifique (@historiae_sct) November 9, 2022
Restez informés, continuez de lire pleins de trucs de faire vos propres recherches. Mes publications ne doivent pas faire autorité, elles vous font découvrir pleins de trucs mais ce n'est généralement pas suffisant.
Continuez de vous cultiver ! pic.twitter.com/cnZ1sCUuEY
— L'Historien Scientifique (@historiae_sct) November 9, 2022