Thread : un peu d’histoire de la justice des mineurs
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Pendant un déplacement à Mayotte, Gérald Darmanin a proposé la création de « lieux de redressement » pour jeunes délinquants, lesquels seraient encadrés par des militaires. Une vieille idée de campagne d’Emmanuel Macron, favorable au tout répressif mais qui a pourtant déjà existé dans le passé.
Un thread de @bismatoj
J'ai une furieuse envie de préparer un thread pour vous montrer d'où on part en matière de justice des mineurs et de prise en charge des enfants délinquants, afin de comprendre pourquoi le discours de Darmanin, et toutes les dynamiques qu'il sous-tend, sont juste gravissimes
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Je reste convaincu que les gens seraient globalement moins cons si on s'intéressait davantage à l'histoire de la justice de mineurs, et à ce que notre pays a été capable de faire comme barbarie au cours ne serait-ce que du siècle dernier
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Bon on va retracer un peu (et en très très gros) ce qui s'est passé depuis 150 ans en France. Ce n'est ni exhaustif ni vraiment soigné sur la forme, c'est principalement démonstratif 🧶
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Mais avant ça, il faut comprendre que l’idée qu'il fallait proposer aux enfants des modalités de détention distinctes des adultes ne date que du 19ème siècle. C’est environ vers 1820 qu’on commence à se dire que des quartiers mineurs dans les prisons, c’est peut-être pas mal.
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Vous l’aurez compris sans moi, on est évidemment encore très loin à cette époque de la réflexion autour de la primauté de l’action éducative et sociale en matière de justice pénale des mineurs. Mais l’idée émerge, a minima, d’une prison spécifique pour mineurs
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Ça c'était juste pour vous permettre de dater l’époque à laquelle se situent les abrutis réactionnaires qui paniquent et chouinent aujd pour le retour des mineurs en prison classique : des gens en 1800 étaient déjà plus visionnaires qu'eux. Bref
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
La première prison pour mineurs est construite dans les années 1830. Il s’agit de la « Petite Roquette » située à Paris, à l’emplacement où se trouve aujd le square de la Roquette (11ème). Elle deviendra par la suite une prison pour femmes et sera détruite dans les années 70
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
A l’époque c’était pas bien compliqué, on se disait qu’un enfant ne pouvait être redressé que par le silence et la solitude, seuls outils lui permettant de réfléchir à sur ses actes et de retrouver le droit chemin. Même le collectif était individuel, avec des jolis boxes pic.twitter.com/UEzMgIIddx
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Face à la multiplication des cas de violences, de maltraitance et de travail forcé (parce qu'évidemment il y avait des tabassages en règle), la critique monte à l’encontre de la Petite Roquette, notamment sous l’impulsion d’un certain Victor Hugo jsais pas si vous le connaissez
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
On finit par se dire que ok la prison c'est horrible, on va alors décider de placer les enfants dans les fameuses "colonies agricoles pénitentiaires", qui deviendront par la suite les bagnes. Ces colonies ont été plus ou moins institutionnalisées dans les années 1850-1900
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
L’idée étant ici d’offrir aux enfants un placement collectif et un éloignement de la ville. A cette époque, les jeunes filles étaient souvent, quant à elles, confiées à des structures religieuses qui se chargeaient gentiment de les cloîtrer et de les réduire à la mort sociale
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Ce sont des colonies principalement installées dans ce qui constitue aujourd’hui les territoires d‘outre-mer ainsi qu’en Algérie, Maroc et Tunisie. Sur le papier, ça fait humaniste et moderne (les enfants ne sont plus en prison, regardez ils jouent dans les champs !). Lol
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
D'ailleurs, la manière de prendre en charge les enfants vacille tjrs entre 2 conceptions. Soit c'est un délinquant qu’il faut punir en le traitant comme un adulte, soit c'est une victime qu’il faut protéger et éduquer (par le travail forcé et les sanctions physiques quand même)
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
(j'ai oublié quelques dessins d'époque de la petite Roquette) pic.twitter.com/E4P5WKB2PC
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
A la fin du 19ème siècle, la France va traverser un épisode de panique morale absolue vis-à-vis de la jeunesse. Peur des quartiers populaires, des bandes violentes, des étrangers, des « Apaches » à Paris.
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Parallèlement, des penseurs se mettre à théoriser de grands et beaux concepts comme la criminalité génétique, sur fond de racisme et d’exclusion. Le jeune pauvre et immigré effraie la bourgeoisie. Bref, un mardi ordinaire en 2022.
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Certains enfants sont considérés comme intrinsèquement dangereux, soit parce qu’ils viennent de classes populaires de grandes villes, soit parce que des savants posent un lien entre délinquance et "arriération mentale". Bref, on s’en prend aux enfants de pauvres et d’immigrés
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Les conditions de détention des enfants vont considérablement se durcir. Déjà qu’ils travaillent 15 heures par jour, suivent des activités forcées et n’apprennent pas grand-chose. On va décider de les faire dormir dans des cages à poule. Littéralement. Il y a moins de 100 ans. pic.twitter.com/swzA5fCXIO
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Diffile aujourd'hui d'avoir une photographie claire sur le nombre de victimes et l'ampleur des sévices. Après tout c'était que des mômes qui n'étaient rien et qui ont obtenu ce qu'ils méritaient
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
L’opinion publique finira par s'indigner du traitement réservé aux enfants dans les bagnes. Par exemple Jacques Prévert entre autres dénoncera les « chasses aux enfants », organisées pour traquer les enfants qui ont eu le malheur de s’échapper. Je vous mets le poème pic.twitter.com/tKHrncODDn
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Il faut bien comprendre que la jeunesse délinquante était tellement diabolisée à cette époque dans l’opinion publique que des villages entiers partaient traquer, avec des fourches et des torches, des gosses de 13 ou 15 ans. Les bien-pensants commencèrent enfin à bien-penser pic.twitter.com/dStwd8oiyf
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
(vous avez capté que rien de ce qui se dit ou se passe aujourd’hui dans le spectre politique en matière de lutte contre la délinquance et de diabolisation de la jeunesse n’est nouveau ou original. Tout est cyclique that's the point Bob)
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Qu’est-ce qui va nous sauver un peu de ce modèle de merde ? Bah les guerres et ses millions de morts. Comme souvent, la démographie et les enfants deviennent subitement un trésor national et un outil stratégique de redressement économique.
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Les journalistes, écrivains, artistes s’emparent du sujet (voir notamment le film « Prison sans barreaux », réalisé en 1938 et qui racontait déjà à l'époque les sévices subis par des jeunes filles en maison de correction). On commence à se dire que tout ça, c'est bof.
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
La situation s’apaise un peu. Les établissements les plus violents et les plus coercitifs sont fermés. Une nouvelle réflexion émerge qui va aboutir à une nouvelle conception de la justice des enfants, consacrée par l’ordonnance du 2 février 1945. pic.twitter.com/mbCRcjn7UA
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Ce texte va entériner (selon la formule consacrée) « la primauté de l’éducatif sur le répressif ». La France veut se débarrasser de ses vieux démons, des bagnes et des milliers de gosses torturés (qui abîment même son image à l'international tiens tiens) pic.twitter.com/twdgeeExt3
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
On bascule dans le modèle contemporain : Une justice spécifique est créée, avec des magistrats et des éducateurs spécialisés. On inclut la dimension psychique et médicale dans le suivi des enfants. On privilégie les rapports d’expertise aux coups de matraque
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
La transformation concrète dans les structures prendra des dizaines d’années. Passer d’un logiciel répressif à un suivi éducatif qui privilégie la personnalité de l’enfant à l’acte délictueux commis, ça n'allait pas de soi. Heureusement aujourd'hui tout est différent mdr
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Je vais pas m’étendre sur la période contemporaine mais les experts s’accordent à dire qu’on a connu un nouveau cycle : les 30 glorieuses ont été à favorable à une meilleure prise en charge, pour un tas de raisons.
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Le nombre de jeunes en France augmente, déjà, et ils commencent à jouer un rôle social mieux identifié par la société. Les jeunes consomment, créent une culture qui leur est propre. La perception des "Blousons noirs" dans l'opinion publique était assez parlante à ce titre
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
"Bad boys mais pas trop". Et aussi on accepte enfin l'idée que la précarité et le conditionnement social jouent un rôle dans la délinquance et le passage à l'acte
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Cet élan est évidemment renforcé grâce aux revendications soixante-huitardes. Le ministère de la justice crée l’éducation surveillée. Des syndicats s’organisent et relaient des luttes contre le contrôle social, l’enfermement et la limitation des libertés. pic.twitter.com/iYNJkkOcmf
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
On ferme les structures fermées et on privilégie le milieu ouvert : un suivi intermittent sans enfermement, qui concilie suivi éducatif et judiciaire avec la liberté. On théorise des sciences éducatives, on écoute pour comprendre et pour traiter les spécificités de la délinquance
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Eeeeeeeet on replonge doucement dans un courant répressif au cours des années 1990. La France a à nouveau peur de sa jeunesse, de ses banlieues, du "rap" (musique du diable), des arabes, des émeutes qui passent en boucle à la télé. Et le FN qui ouvre sa gueule
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Il y a 20 ans sont créés les centres éducatifs fermés (CEF) qui matérialisent le retour à l’écrou (chambres individuelles fermées à clé). En langage institutionnel on ne dit plus enfants délinquants, on dit « jeunes ».
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Les CEF sont vendus depuis lors comme l’alpha et l’oméga de la réponse pénale par exactement tous les ministres de la justice. Les syndicats d’éducateurs déplorent une baisse de moyens et un cap toujours plus porté vers le répressif, au mépris du travail social et éducatif.
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Et depuis quelques temps revient, en prime, la petite chanson du rôle éducatif de l’armée. Alors qu’aucun indicateur statistique ne démontre une augmentation significative de la violence ou du taux de récidive. Il n'y a pas d'échec. C’est le retour pur et simple de l’idéologie.
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
Bref, tout ça pour dire deux choses essentielles, et désolé si c’était écrit à l’arrache. Ce n'est d'ailleurs pas un thread historique encore une fois et d'autre personnes le feraient bien mieux que moi
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
La première chose, c’est que TOUS les fléaux que traverse une société sont d’abord traversés par sa jeunesse. Et c'est à ce titre qu' il faut l’écouter et la protéger en premier lieu. De grands hommes l'ont compris dans notre construction moderne
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
La seconde – et c’est bien plus spécifique au modèle français, c’est que le traitement politique réservé aux mineurs délinquants est cyclique. Et le cycle répressif redémarre sans aucun fondement rationnel, mais uniquement à l’aide de l’idéologie et de la panique morale.
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
La presse il y a un siècle : pic.twitter.com/DUT9IwfaUa
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
On est sur cette pente depuis quelques années maintenant. Il est peut-être temps d’apprendre de notre propre histoire.
J'ai fini
— Bismatoj (@bismatoj) August 23, 2022
🧙♂️ pic.twitter.com/z7a5FGPTM4
— Bismatoj (@bismatoj) August 25, 2022