Thread : silence, on harcèle les internes
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Nous l’avions vu hier, la vocation pour devenir médecin est brisée par une sélection de plus en plus violente dès la première année. Mais comme nous allons le voir ci-dessous, la violence des études de médecine ne se limite pas à la première année.
Un thread de @NightHaunter
3ème semestre d'internat, je suis alors interne aux urgences adultes d'un grand hôpital.
Ces urgences sont alors divisées en plusieurs zones dont une est dédiée aux urgences chirurgicales avec un interne de médecine générale et un interne de chirurgie.
Je n'ai jamais oublié. ⤵️— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Le matin de ce jour-là, j'accueille un monsieur de plus de 60 ans pour douleurs abdominales.
Plein de pathologies, rein unique, diabète, hypertension artérielle…
Et au bout de quelques minutes, l'infirmière m'appelle, la tension s'effondre. La patient va mal. /2— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Après avoir tenter de le remplir, je cherche bien sûr un chef.
Mais le chef de chirurgie n'est pas là, il opère. Je demande de l'aide à un premier chef de la zone médicale à côté, qui voit le patient rapidement et me dit de continuer le remplissage sans trop rien de plus. /3— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Quelques minutes plus tard, l'infirmière me rappelle, la tension chute à nouveau. Les choses se dégradent.
Le premier chef de médecine n'étant plus là, je demande l'aide d'un autre. Qui voit le patient, consulte le dossier, voit qu'il a été récusé pour une anesthésie récente. /4— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
« Tu peux continuer le remplissage mais ne tente rien d'autre, on ne fera rien d'autre pour ce monsieur. Expliqué aux accompagnants que si ça se dégrade, il faut s'attendre à une issue fatale. »
Je consulte donc, seul, interne de 3eme semestre pour cette annonce. /5— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Quelques dizaines de minutes plus tard, 3eme remplissage, le patient va toujours mal. On me dit alors « Appelle la réa quand même pour avoir un avis. »
Ce que je fais bien sûr mais je fais une erreur fatale, je ne détaille pas mes appels dans le dossier du patient. /6— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
J'appelle successivement les 3 services de réanimation, 3 réanimateurs. Aucun ne veut venir le voir, aucun ne veut venir m'aider, aucun ne veut prendre le patient. L'infirmière et moi, complétement dépassés, nous faisons ce que nous pouvons jusqu'à ce que…/7
— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Le chef de chirurgie apparaissent avec la fin de son bloc. Je me précipite vers lui. Il consulte le patient. Son dossier. Et téléphone lui-même en radio. Scanner abdominal. Dissection aortique. Il décide d'opérer le patient en urgence avec de le caser en réanimation. /8
— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Ceci pourrait être le récit donc de la galère d'un jeune interne inexpérimenté (c'était seulement mon second stage hospitalier) et d'un cas résolu in extremis avec beaucoup de cafouillages.
Mais cela va beaucoup plus loin et va changer ma carrière. /9— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
En rentrant chez moi, ce jour là, je met un message en privé sur mon profil Facebook : « Hé bien, ton patient c'était une dissection aortique, et soudain toutes les réticences des anesthésistes-reà à le prendre se sont envolés. »
Un post qui fait 3 like et 1 comm. Rien quoi. /10— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
La garde d'après, j'ai la surprise de voir le chef de pôle venir me voir. Il me demande de me suivre et, sur la route, me dit « J'imagine que tu sais pourquoi je veux te parler ? ».
Ce qui n'est pas le cas. Il me dit alors « Tu as posté qqchose sur les réseaux hier ?!» /11— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
S'ensuit un entretien plutôt posé mais ferme. C'est inacceptable que je poste quoique ce soit sur mon travail. Inacceptable d'impliquer mes collègues d'anesthésie. Bref, je dois m'excuser (ce que je fais) et retirer le statut (ce que je fais). Je ne comprends pas. /12
— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Après cet entretien surréaliste, le Chef de pôle me précise que son supérieur en a entendu parlé de cette histoire. Qu'il me verra quand même. Et que j'ai intérêt à me faire tout petit.
Il me verra dans une semaine. Anéantit, je stresse à mort durant les jours suivants. /13— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Une semaine plus tard, le grand chef m'attend dans son bureau. Il entre en passant devant moi. Pas de bonjour. Pas de regard rien. « Entre, assieds-toi ». Je suis terrorisé. Il est dis à moi et farfouille dans son sac. /14
— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Il se retrouve et me claque une page avec des articles de loi. « Tu as de l'argent de côté ? » « Euh, mais » «EST-CE QUE TU AS DE L'ARGENT DE CÔTÉ ? » « Un peu, oui » « Tu vas en avoir besoin, tu sais ce que ça coûte ce que tu as fait » ? /15
— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Je m'attends à ce qu'on me parle de retard médical, qu'on me mette sur le dos de n'avoir pas bien dirigé le patient ou pas alerté assez de monde mai bon. Ce qui l'intéresse c'est ce statut ridicule. M'accusant de brisé le secret médical, d'insulter mes collègues anesth. /16
— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Il passera 20 min à me piétiner, me mettre plus bas que terre. Il dira qu'il ne veut plus jamais entendre mon nom qu'il connait desormais et finira sur ces mots « Si j'entends encore une fois ton nom, je me débrouille pour que tu ne sois jamais médecin hospitalier nul part. » /17
— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Je sors de là liquéfié, démoli. Dans un état où j'envisage de tout arrêter. De me faire du mal même. Mais il s'en fiche. Tout le monde s'en fiche.
Et le Grand Chef veut une dernière humiliation, que je fasse le tour des chefs d'anesthésie pour m'excuser un par un. /18— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Avant ça, je voulais être urgentiste adulte. Mais je réalise à cet instant, que c'est terminé car ce grand chef et le chef de pôle chapeaute tout le parcours urgentiste. J'irais à l'entretien 8 mois plus tard pour la formation et je serais refusé, bien sûr. /19
— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
L'un des deux examinateurs étant… Le chef de pôle. Je sais dès que j'entre dans la pièce que ma carrière, ou j'avais décidé d'être med gé pour faire urgences, est terminé. Je suis dans un état lamentable pendant des mois. Avant d'être repêché par d'autres gens adorables. /20
— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Je finirai à force de détermination, d'efforts, de garde, de DIU, à faire urgences pédiatriques. À regretter de ne pas avoir fait l'internat de pédiatrie en sachant que faire médecin générale menait à ce cul-de-sac pour un seul stage, un seul statut, un seul tyran. /21
— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Dans ce moment où une infirmière et un jeune interne qui venait de commencer mes urgences se sont retrouvés seuls face à un tableau grave. Rien n'est remis en cause. La solitude de l'interne qui aurait dû être mieux encadré ? Rien. /22
— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Le fait inacceptable qu'aucun des réanimateur n'a même voulu se déplacer ou me donner un avis. Rien. Le fait que ce n'était pas la première fois qu'une telle anomalie se produisait rien. Personne ne m'a demandé, jamais, ce qui, médicalement avait déconné. /23
— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Cela fait 10 ans maintenant. Je n'ai rien dit, plus jamais rien dit de cette histoire pendant 10 ans. Parce que j'étais terrorisé qu'un des chefs qui m'a démoli puissent finir le travail. Parce que c'est mon souvenir le plus douloureux de mon parcours. /24
— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
C'est la toute première fois que j'en parle. Et je suis toujours aussi bouleversé d'en parler. Jamais aucun des chefs n'a été inquiété, j'ai tout pris dans la gueule. Rien n'a jamais change. Tout a été mis sous le tapis. Je ne sais même pas si le patient a survécu. /25
— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
On la interdit le dossier. On m'a observé à la loupe pendant tout le reste du stage. Je n'ai jamais su comment mon statut leur était parvenu (délation ?).
Je n'ai jamais su pourquoi en somme. Jamais. Mais je sais une chose. /26— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
De ce système de mandarinat avec des dieux-chefs qui détruisent les autres, rien ou presque n'a changé. D'autres internes ont eu les mêmes choses à subir que moi. Et aucun interne de spécialité n'est vraiment libre, même en regard de la loi. /27
— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Car si vous voulez une place, faire un assistanat ou autre, vous devez avoir l'aval des grands chefs. Ils verrouillent tout, de façon officieuse et tacite. Les repos de garde, le temps de travail… Ça ne changera jamais. /28
— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
Mais par contre, aujourd'hui, je parle, je dis, j'explique ce qui m'est arrivé.
Et je dis à ces gens qui m'ont fait tant de mal à l'époque : « Vous êtes indignes de votre profession. Vous êtes une honte ». /29— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022
(Excusez mes fautes d'orthographe, j'ai écrit ce thread en un jet, un tremblant un peu, comme un exorcisme, je ne voulais (pouvais) pas relire avant de le poster où je ne l'aurais pas fait.)
— Toubib 🩺 | Just A Word 📚 (@NightHaunter) September 9, 2022