Thread : Rimbaud et Verlaine en photo
0
Alors que l’on parle de faire entrer Rimbaud et Verlaine au Panthéon, une image des deux poètes est souvent mise en avant. A tort.
Un thread signé @LaurentNunez
Petit thread sur Rimbaud et Verlaine ENSEMBLE.
J'y pense depuis quelques jours, parce que pour illustrer les articles sur la pétition panthéonesque de nos deux poètes, l'illustration est souvent celle-ci : pic.twitter.com/l8fibxK9FR
— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
Exemple dans Livres Hebdo : https://t.co/QbvaY2z3V0
— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
Ou dans @Qofficiel pic.twitter.com/bkvEILxZsu
— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
Or, cette image de deux potos qui s'accolent, über-modernes avec leurs petits chapeaux, est fake.
Elle n'existe pas.
C'est un montage fait avec un visage de Verlaine, un de Rimbaud, et deux corps que je n'ai pas identifiés…— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
Et ce n'est pas honteux ni dramatique, qu'il y ait ce montage. C'est même plutôt drôle, parce que ça prouve bien qu'il ne faut pas les mettre ensemble dans le même caveau, Arthur et Paul : de leur vivant déjà, ils n'ont jamais posé ensemble !
— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
… Et c'est là que j'entends des rimbaldiens hurler : "Mais si ! il y a ce tableau de Fantin-Latour tout de même".
(Ils parlent de ce tableau-là, Le Coin de table, de 1872 🙂 pic.twitter.com/zdAWmQ7N6f
— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
Et bon, ok, d'accord, initialement, on les reconnait bien, Paul (28 ans, belle calvitie) et Arthur (18 ans, belle tignasse), et ils semblent à côté : pic.twitter.com/9MYfBglCkg
— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
Mais cette image est trompeuse, et c'est pourquoi bcp se refusent à la choisir pour illustrer la complicité/l'amitié/l'amour entre Verlaine et Rimbaud.
Trompeuse parce que 1. les 2 hommes s'évitent du regard.
2. Ils cherchent à éviter de regarder autre chose.
Devinez quoi ?— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
Le livre que tient un convive ? (Non) pic.twitter.com/wsulzboulx
— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
La carafe de vin presque vide ?
La tasse de café ?
(Non) pic.twitter.com/JB2IpUvXwX— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
Le digestif ? Les fruits ?
(Non) pic.twitter.com/0hCuAWLmr5— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
Verlaine et Rimbaud se poussent sur le côté, main au menton, boudeurs, parce qu'ils ne veulent rien avoir à faire avec… cette grosse plante qui bouffe l'autre coin de table… (Ce sont des hortensias.) pic.twitter.com/FoVlMC408H
— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
Là, comme je sais habilement créer du suspens, vous vous dites : "Mais pourquoi ils cherchent à éviter des hortensias ?"
Réponse : parce que ces hortensias s'appellent Albert Mérat.(Je vous jure.)
— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
Albert Mérat, c'est lui. Poète, né en 1840. Pas très connu, mais auteur d'une œuvre charmante, comme :
Distrait et grave comme un fou,
Ayant mes rêves pour cortèges,
Je vais un peu je ne sais où
Par les pays où sont les neiges. pic.twitter.com/UqeMy0SDrt— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
Et donc, voilà l'histoire : le tableau de Fantin-Latour célèbre une soirée parnassienne, où beaucoup de poètes étaient invités. Rimbaud appréciait Mérat : dans sa lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871, il le considérait comme un visionnaire et en faisait l'égal de… Verlaine.
— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
Mais ce soir-là, visiblement, Mérat s'engueula avec Rimbaud – et donc avec Verlaine, qui l'avait ramené. Pourquoi ? Ne me demandez pas. Ce ne sont pas les occasions qui manquent, entre gendelettres avinés. Ils se mirent donc chacun à un bout de table…
— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
A la fin du repas, Fantin-Latour : "Les amis, allez on pose ! Ne bougez plus. Je vais faire une belle photo de famille." pic.twitter.com/BfPw8aRGdy
— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
Rimbaud et Verlaine, toujours fâchés (et même fâchés entre eux, visiblement), se mirent à bouder, et c'est donc ainsi que l’Éternité les a fixés : pic.twitter.com/vspCSradaL
— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
Mérat, lui (vous suivez ?), était à l'autre bout de la table. Mais il n'a pas tenu longtemps dans cette ambiance glaciale – et il s'est éclipsé.
Fantin-Latour avait déjà fait une esquisse de lui, de son corps, de son visage.
Alors que faire ?
Vous avez deviné: de gros hortensias. pic.twitter.com/w3CgMZtUac— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
Dès lors, quand vous regardez cette peinture, cette image des deux poètes, comprenez qu'en fait on n'y voit pas deux amants, ou deux poètes hyper potes (au début ils n'étaient que cela), mais deux jeunes hommes immensément séparés – et en froid.
— Laurent Nunez (@LaurentNunez) September 17, 2020
Post scriptum :
L'originale est ici pic.twitter.com/YW5VAt4ZEi
— Kévin Boucaud-Victoire (@K_Boucaud) September 17, 2020