Thread : récit d’un crime néocolonial
0
Vous aussi vous pensiez, depuis vos cours d’histoire au lycée, que la colonisation était un crime du passé, heureusement aboli par les processus de décolonisation après la Seconde Guerre Mondiale ? C’est se leurrer complètement. Le néo-colonialisme pratiqué par les pays dits « développés » continue aujourd’hui, plus que jamais, de tout spolier aux peuples des pays du Sud, et de les contraindre à travailler pour de grandes entreprises occidentales. Cet impérialisme est moins officiel, et donc moins visible, que l’ancienne colonisation par les « grandes » nations européennes envoyant leurs armées et leurs fonctionnaires répandre les bienfaits de la Civilisation. On a aujourd’hui affaire à des entreprises capitalistes au pouvoir tentaculaire, désireuses de s’accaparer partout dans le monde les ressources susceptibles de leur faire faire du profit, mais dont les activités sont rarement médiatisées. En témoigne dans ce thread la dénonciation de Socfin-Bolloré qui, au Cambodge, a depuis plus de 10 ans privé le peuple Bunong de ses terres et de ses moyens de subsistance, avec la complicité de la dictature cambodgienne et de la justice française.
Un thread de @clemnaturel
🧵 Récit d’un crime néocolonial
L’État cambodgien et l’entreprise #Socfin, propriété des milliardaires Vincent Bolloré et Hubert Fabri, se sont définitivement accaparés les terres et la forêt des communautés autochtones #Bunong pour les transformer en plantations industrielles. pic.twitter.com/8xzJ7SfBwc
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
Les Bunong sont un peuple autochtone de langue Mnong résidant dans la région reculée des hauts plateaux de l’Asie du Sud-Est (Sud du Laos, Ouest du Vietnam, Est du Cambodge)
Animistes, ils sont notamment connus pour leur habileté à vivre en bonne intelligence avec les éléphants. pic.twitter.com/0kPbbNwUhj
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
Les Bunong pratiquent une agriculture itinérante de subsistance sur des parcelles (« mir ») régies par une forme de propriété d’usage collective et temporaire (et non par la propriété privée qu’ils considèrent comme une aberration). pic.twitter.com/nRCsHQc4mS
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
Les peuples des hauts plateaux sont restés insoumis jusqu’en 1930, protégés par la forêt luxuriante. Certains comme les Cau Maa’ ont refusé tout contact avec les non-autochtones jusqu’en 1950. Puis ils ont rencontré le napalm, l’agent orange, les missionnaires et le capitalisme. pic.twitter.com/Imu97sl55H
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
En 2008, l’État cambodgien, dirigé depuis 37 ans par le 1er ministre Hun Sen (ex-khmer rouge, chef du parti unique), a octroyé 3 concessions (12'000 ha situés dans la province de Mondol Kiri, au cœur des terres Bunong) à Socfin-KCD (80% Socfin / 20% KCD sous contrôle de Hun Sen). pic.twitter.com/cPq8zU18xj
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
L’octroi des concessions à Socfin s’est fait sans consultation préalable des communautés autochtones.
En 2009, des ONG alertaient déjà sur cette opération qui bafoue à la fois la loi cambodgienne et les droits humains reconnus par le droit international. https://t.co/gqe3a0R0jE
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
Malgré les manifestations rassemblant des centaines de Bunong qui réclamaient la restitution de leurs terres, Socfin a commencé à raser leur forêt et leurs parcelles cultivées dans la localité de Busra dès 2008 pour y développer des monocultures intensives de palmiers et d'hévéas pic.twitter.com/V3BQVSDDKt
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
Cet écocide se double d’un ethnocide : privation des moyens de subsistance, destruction de cimetières, de lieux de culte et d’arbres centenaires considérés par les Bunong comme des personnes intégrées à leur société, et conversion forcée à l’économie de marché. pic.twitter.com/iJlDQn3gpy
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
Socfin a mis les Bunong devant ce choix :
-200$/ha d’indemnités
-des terres de substitution lointaines et moins fertiles
-bénéficier du programme «Petits Exploitants» : emploi précaire dans les plantations + s’endetter auprès de Socfin pour payer les engrais et les pesticides.— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
Dépossédés de leur terres, les Bunong doivent désormais travailler pour le Capital pour survivre. Krey Quin, 48 ans, a emprunté de l’argent pour la 1ère fois en 2019 pour acheter une moto et du riz en ville. Pour payer les intérêts, il récolte le caoutchouc pour Socfin. pic.twitter.com/f2Gpvq0Rge
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
Un cycle de négociations de plusieurs années avec l'État et Socfin, initié par une association autochtone, la BIPA (Bunong Indigenous People's Association – https://t.co/fu6g2AzSyg), a pris fin en 2016, les ressources financières de l’association s'étant épuisées.
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
Au même moment apparaît le projet de médiation 'Mekong Region Land Governance' cofinancé par les États Suisse, Allemand et Luxembourgeois, et piloté par l’entreprise IMG. Dès le départ, un village où des familles ont osé se joindre à un procès contre Bolloré en a été exclu.
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
En 2019, 11 Bunong se sont rendus en France, au tribunal de Nanterre, pour faire valoir leurs droits contre Socfin. L’action a été jugée irrecevable en 2021 faute de titres de propriété valables, et les plaignants condamnés à payer 20.000€ de frais de justice à Bolloré. pic.twitter.com/E7gtIT6jqo
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
Or, le droit international de protection des peuples autochtones n'exige pas de formalisation de la propriété car ces peuples ne s’organisent pas sous le régime de la propriété privée contrairement aux colonisateurs.
Les juges français ont bafoué le droit au bénéfice de Bolloré.
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
Au final, seul un petit nombre de familles a été consulté par l’entreprise contractée pour organiser la médiation. Un accord de confidentialité imposé par l’entreprise empêchait les familles de communiquer entre elles sur la médiation – diviser pour mieux régner. pic.twitter.com/XcbPkvRwT4
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
Fin septembre 2022, les coordinateurs de la médiation ont publié une déclaration affirmant qu’un "Joint statement on dispute settlement through independent mediation" avait été signé entre "les communautés locales" et Socfin.
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
La déclaration est une sorte d'accord-cadre qui renvoie à de nombreux sous-accords qui restent secrets. On ne sait pas à combien ni à quelles familles ni à quelles terres se réfèrent les accords.
De plus, les accords sont rédigés en khmer – une langue étrangère aux Bunong. pic.twitter.com/aOCj5kk0tl
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
@FIANista et BIPA ont eu accès à 4 accords conclus avec des familles d'un village concerné. Ces accords stipulent que ces familles ont été pleinement informées, qu’elles ne causeront pas de perturbations et qu’elles ne réclameront pas d'indemnités ou de restitution de terres.
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
C’est un succès total pour Socfin : l’accaparement illégal de terres est légalisé en apparence et les familles concernées n’ont obtenu en contrepartie qu’une simple promesse de budgets de 'développement communautaire' flous et limités. pic.twitter.com/CHdELHQpCA
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
Au final, selon les ONG, les quelques 200 familles impliquées dans la médiation ont abandonné leurs terres et leurs droits sans recours possibles et n’ont quasiment rien obtenu en retour.
Plus de 800 familles spoliées ne se sont pas impliquées dans cette mascarade. pic.twitter.com/ij9oUAEj3n
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
@FIANista et BIPA tentent de remettre en question la validité des accords signés en rassemblant des preuves que les familles impliquées ont participé à un processus qui leur était étranger et que la multinationale leur a forcé la main tout en dévastant leur terre.
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
Sur cette base, il faudra mettre en place un nouveau processus de résolution du conflit, strictement basé sur les droits humains, afin d’obliger l’État cambodgien à révoquer les concessions de terres, à les restituer aux communautés et à indemniser ces dernières. Peu probable.
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
En novembre 2022, le journaliste Jack Brook de @cambojanews a enquêté sur place et a publié un article où des représentants Bunong disent avoir été forcés par Socfin, qui peut désormais utiliser leurs terres pendant 50 ans avant de les remettre à l'État. https://t.co/CaQgGfegNR
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
Plusieurs représentants Bunong se sont dits épuisés par cette bataille judiciaire et ont déclaré "s'être sentis obligés d'accepter les conditions de l'entreprise pour ne pas risquer de n’obtenir aucune des terres revendiquées" – ce qui s'est précisément produit. pic.twitter.com/qjlxEym1mA
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
Cette médiation, cofinancée par des États où Socfin est basée (Suisse, Lux), a été un outil de spoliation néocolonial utilisé pour donner un semblant de légalité à un vol de terres, un écocide et un ethnocide avec l’appui de la dictature cambodgienne et de la justice française.
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
De la Sierra Leone au Nigeria en passant par le Cameroun, la Guinée, la Côte d’Ivoire ou le Cambodge, les communautés autochtones et paysannes vivant à proximité des plantations de Socfin luttent pour survivre au néocolonialisme et pour leurs droits. https://t.co/eZKkI0SxTP
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023
Sources
– Rapport du bureau suisse de l’ONG @FIANista : https://t.co/xHFQU8mcJ8
– https://t.co/4ByTkZ3Kcg
– https://t.co/oBo8qNFP5f
– https://t.co/0cOAADmRgp
– https://t.co/Zpmdjbi9ehÀ propos de Socfin : https://t.co/we5pYD6B41
— Clément Renard (@clemnaturel) January 3, 2023