Thread : non, l’agriculture biologique n’est pas à l’origine de la crise au Sri Lanka
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L’état d’urgence avait été déclaré au Sri Lanka le 1er avril dernier pour éviter une révolte populaire sur fond d’effondrement économique. Cela n’aura pas suffit. Le Sri Lanka vit une crise économique sans précédent aux raisons multiples et complexes. Et si vous lisez sur Twitter que c’est « à cause du bio », c’est tout simplement faux. Jacques Caplat nous explique pourquoi 👇
Un thread de @nourrirlemonde
#SriLanka
Depuis qlqs mois, des "journalistes" libertarien·ne·s sans scrupules et des lobbyistes s'échinent à réécrire l'histoire récente de l'agriculture du Sri-Lanka, en faisant peser sur l'éphémère projet "bio" une crise dont la bio est au contraire la victime.
Un thread.
🔽🔽 pic.twitter.com/mg1VrfUUv4— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
Vous avez sans doute lu qu'en 2021 le Sri-Lanka avait décidé de passer au "tout bio", puis avait renoncé pour cause d'échec. Jusqu'ici c'est quasi-exact. Mais vous avez certainement également lu que cette transition ratée serait cause d'une crise alimentaire. Et là, c'est /
[2/x] pic.twitter.com/xoZKDBXVMh— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
… carrément du n'importe quoi de compétition.
1) L'agriculture du Sri-Lanka
Depuis des décennies, le Sri-Lanka est enfermé dans un étau post-colonial hélas classique. Son agriculture est très largement tournée vers l'exportation (thé notamment), au profit de rentiers /
[3/x]— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
… souvent occidentaux ; les surfaces consacrées à l'agriculture vivrières sont insuffisantes pour nourrir la population. Par conséquent, depuis son indépendance (et non pas depuis 2021 !) le pays importe massivement des denrées agricoles. Pire, même son agriculture /
[4/x]— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
… familiale dépend des engrais importés, bâtie sur un modèle (occidental) sans autonomie ni cohérence agronomique de long terme.
2) La balance budgétaire
Cette agriculture ultra-importatrice fonctionnait tant qu'elle pouvait payer grâce aux recettes touristiques. Car /
[5/x]— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
… le Sri-Lanka vivait avant tout du tourisme.
Patatras. En quelques années, ces recettes touristiques se sont effondrées. Pourquoi ?
D'abord par la gabegie et la corruption du clan au pouvoir, avant même sa dérive autoritaire.
Ensuite par des attentats en 2019 qui ont /
[6/x]— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
… sérieusement réduit les visites étrangères.
Enfin par le Covid depuis 2020, qui a donné le coup de grâce.
Entre 2019 et 2021, les ressources touristiques du Sri-Lanka ont été divisés par 3. Divisées par trois ! Aucune cause agricole ici.https://t.co/zSUhAxAoom
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[7/x]— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
3) Un projet "bio" ni fait ni à faire… mais pas rejeté par les paysan·ne·s !
Dans ce contexte économique calamiteux, la dépendance du pays aux importations d'engrais (dont le prix augmentait déjà en flèche en 2020-2021, avant la guerre en Ukraine) devenait rédhibitoire.
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[8/x]— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
Le gouvernement a alors lancé, sans préparation, sans concertation, d'en haut, une "conversion au 100% bio" qui ne pouvait évidemment qu'échouer. Non pas pour des raisons agronomiques (elle était possible !) mais d'une part à cause de son impréparation pathétique qui /
[9/x]— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
… laissait les paysan·ne·s se débrouiller sans anticipation, sans formation, sans accompagnement et sans dispositif technique alternatif (!), et d'autre part à cause de l'obstruction violente et puissante des lobbys exportateurs de thé.https://t.co/efVLIxVogK
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[10/x]— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
Notons que les syndicats de paysan·ne·s sri-lankais n'étaient pas opposés à cette transition bio, contrairement aux mensonges propagés par les supporteurs de l'agro-chimie. Iels demandaient simplement du temps et de l'accompagnement, mais savaient qu'elle était la seule /
[11/x]— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
… solution à moyen et long terme pour donner au pays une autonomie alimentaire (= capacité à se nourrir sans importer des intrants, sans dépendre du tourisme et sans gaspiller ses terres pour l'exportation de thé vers l'Europe).https://t.co/a8XzUUnzsd
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[12/x]— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
4) Un échec prévisible mais quasiment sans conséquences
Ces raisons ont poussé le clan au pouvoir à renoncer en cours d'année 2021 – avant que cette politique n'ait eu le temps d'avoir de véritables conséquences agricoles. Il faut un culot éhonté pour oser mettre sur le /
[13/x]— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
… dos d'une politique avortée en 2021 (et d'une récolte 2021 ayant d'ailleurs finalement bénéficié de techniques conventionnelles) une crise alimentaire qui avait commencé en 2020 (sur la récolte 2019 !) et qui s'est amplifiée début 2021 (sur la récolte 2020 !).
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[14/x]— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
Comment doit-on qualifier des polémistes et pseudo-journalistes qui imputent à une récolte encore sur pied en 2021 des pénuries relevant des récoltes 2019 et 2020 ? "Malhonnêteté" est le qualificatif le plus bienveillant qui puisse venir à l'esprit, pour rester poli.
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[15/x] pic.twitter.com/gZjmBz053x— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
C'est même pire. Bien pire. En fait, la crise alimentaire sri-lankaise ne provient pas d'une baisse de production au Sri-Lanka, mais de la hausse des prix alimentaires mondiaux (accentuée en 2022 par la spéculation criminelle des multinationales alimentaires profitant de /
[16/x]— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
… la guerre en Ukraine). Chute des devises touristiques servant habituellement à importer l'alimentation du pays (division par 3, voir plus haut), hausse des prix des denrées à importer -> aliments hors de prix et famine pour les plus pauvres. Mécanisme trop classique.
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[17/x]— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
Nous avons donc un pays structurellement dépendant d'importation d'aliments (puisqu'il gâche une partie de ses terres pour NOUS exporter du thé) et d'importations d'engrais, qui n'a doublement plus les moyens d'acheter ces denrées et engrais.
À court terme, la crise est /
[18/x]— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
… forcément brutale, et elle est amplifiée par les turpitudes des dirigeants, leur corruption, leur incompétence et leur dérive autoritaire. Elle nécessite une aide structurelle, pas une aumône, et surtout pas un renforcement de la dépendance agro-industrielle.
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[19/x]— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
Dans ce tableau, l'éphémère et fantaisiste projet "bio" improvisé n'a aucune responsabilité, et n'est que l'une des nombreuses victimes des crises internationales (Covid, Ukraine).
En revanche, une évolution vers l'agriculture biologique et paysanne, c'est-à-dire des /
[20/x]— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
… techniques permettant à la fois de retrouver des productions vivrières complexes et massives, de sortir de la culture de rente post-coloniale, et de cesser de dépendre des importations d'engrais, reste un vrai espoir, soutenu par les syndicats paysans sri-lankais !
[21/21] pic.twitter.com/0TR4iczQSC— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 9, 2022
Il y aurait bien sûr bcp à ajouter sur le cynisme des dirigeants qui espéraient que cette transition précipitée leur permettrait d'immédiates économies d'engrais & de pesticides, ou sur la manière dont les multinationales agrochimiques ont instrumentalisé les exportateurs de thé.
— Jacques Caplat (@nourrirlemonde) July 10, 2022