Thread : Ma grand-mère face à la police française !
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Un thread signé @ntrouiller.
Une histoire touchante des souvenir, de courage et de chanson :
Aujourd'hui, ma chère grand-mère Suzanne a 95 ans. Elle est en EHPAD, dans un fauteuil, profondément démente, et il y a un milliard de raisons qui font que c'est la femme de ma famille dont je suis la plus fière. D'abord, elle tient toujours sa tasse comme à Buckingham Palace. ⤵️ pic.twitter.com/kP1vK5ecfd
— Natalia Trouiller (@ntrouiller) August 30, 2019
Ensuite, laissez-moi vous raconter une anecdote qui en dit davantage sur l'humanité des personnes démentes que 20 traités. Ma grand-mère, il y a quelques mois, a dû subir une petite intervention chirurgicale sur le dessus du crâne.
— Natalia Trouiller (@ntrouiller) August 30, 2019
Petite chirurgie en ambulatoire donc, mais pour une personne de son âge c'est toujours compliqué. Et il y a en plus ce qui se passe dans sa tête. C'était à un moment où l'affaire Lambert battait son plein. Dans un EHPAD où la radio déverse de "l'info" toutes les 1/2h, ça martèle.
— Natalia Trouiller (@ntrouiller) August 30, 2019
Résultat le grand trip de ma grand-mère c'est que des médecins allaient venir l'euthanasier. Avec des piqûres. Donc pas question de la laisser seule avec cette angoisse aller à l'hôpital: à l'heure dite, je me présente à l'EHPAD pour monter avec elle dans l'ambulance.
— Natalia Trouiller (@ntrouiller) August 30, 2019
L'ambulance arrive. Deux ambulanciers en uniforme sombre en sortent. Et là Mamie a fait un triple salto piqué arrière du cerveau. Parce que ce qui est remonté à ce moment là, c'est pas sa trouille de l'euthanasie. C'est son arrestation en juin 1944 à Grenoble.
— Natalia Trouiller (@ntrouiller) August 30, 2019
Elle était alors fiancée à Albert, mon grand-père. Dominique, le frère de mon grand-père faisait partie d'un groupe de résistants du maquis de l'Oisans, la Compagnie Stéphane. Mes grands-parents les ravitaillaient et jouaient les facteurs.
— Natalia Trouiller (@ntrouiller) August 30, 2019
Dominique a été identifié par les Allemands. Qui ont décidé de prendre sa famille en otage et menaçaient de les abattre un à un jusqu'à ce qu'il se rende. Mon grand-père, ses sept sœurs, ma grand-mère, mes arrières-grands-parents: hop, tous en prison.
— Natalia Trouiller (@ntrouiller) August 30, 2019
Ils ont été emprisonnés près de deux mois. Puis on a trouvé le corps de Dominique dans la montagne. Blessé par une balle allemande, il a attendu un secours qui n'est jamais venu dans un ruisseau. Il s'est vidé de son sang.
— Natalia Trouiller (@ntrouiller) August 30, 2019
Les Allemands ont alors libéré les otages. Mes grands parents se sont mariés en grand deuil. Ma grand-mère a toujours dit que ce qu'elle avait le plus mal vécu, c'est d'être arrêtée par la police française avant d'être remise aux Allemands.
— Natalia Trouiller (@ntrouiller) August 30, 2019
Et là, devant les ambulanciers en unif sombre, Mamie me souffle de toute son indignation: "Tu te rends compte. C'EST LA POLICE FRANÇAISE !!!" #RetourVersLeFutur
Et alors que les ambulanciers empoignent son fauteuil roulant, Mamie entonne la Marseillaise. Aussi fort qu'elle peut.— Natalia Trouiller (@ntrouiller) August 30, 2019
Problème : du haut de ses 95 printemps, elle ne se souvient que du premier vers. Ce qui fait qu'après "patri-hi-heuuuu" elle s'arrête net. Mais ne se laisse pas démonter. Et trouve au fond de sa mémoire un autre chant de résistance qui allait glacer les suppôts de Pétain.
— Natalia Trouiller (@ntrouiller) August 30, 2019
Et nous voilà entrant fièrement à l'hôpital, moi poussant le fauteuil de Mamie, sous le regard ébahi des ambulanciers, en chantant en chœur et à tue-tête "Maman les petits bateaux". On n'a pas croisé Hitler, mais il valait mieux pour lui.
Bon anniversaire ma Mamie chérie. 🎂❤️— Natalia Trouiller (@ntrouiller) August 30, 2019