Thread : les graffitis d’insulte retrouvés à Pompéi
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Comme aiment à le rappeler les plus anciens, notre génération est violente et vulgaire. Sauf que si on remonte dans le temps, on se rend compte que les gens s’insultaient déjà sous l’empire romain.
Un thread de @Hugorodru
Nouveau thread sur les graffiti de Pompéi, sur un sujet encore subtil et délicat, au cœur des fondements invariables de l'humanité : insultes, malédictions et imprécations dans le monde romain, ou l'art de l'injure antique ! ⬇️⬇️⬇️
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
Comme nous l’avons vu précédemment, les fameux cacatores occupent certes une bonne part des préoccupations des citoyens de Pompéi ; mais, quand nulle citerne ou mur public n’est en danger, on n’arrête pas pour autant de s’insulter avec joie !
https://t.co/kuIg79yPEi— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
Commençons, pour donner le ton, avec cette insulte d’une rare violence :
– Epaphra glaber es ; soit, littéralement : « Epaphras, t’as pas de pooiils !! ».
Ça fait mal hein. Ce n’est que le début. pic.twitter.com/qRfMnjTigU
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
Enchaînons avec une inscription pleine de rebondissements. Sur la première ligne on lit: Agato Herrenni serus rogat Venere: "Agathon esclave de Herrennius prie Venus" ; or juste en dessous, on a ajouté d’une main tremblante: ut periat rogo "bah moi je prie pour qu’Agato il CRÈVE" pic.twitter.com/WLw7z1WY3C
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
La personne visiblement déçue par ledit Agathon semble avoir été vite reconnue par l’intéressé, qui a ajouté, juste en dessous : salve Gutta : « ha coucou Gutta. ».
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
(On notera le caractère cosmopolite de Pompéi à époque romaine: Agathon est un esclave d’origine grecque s’exprimant en latin, et Herrennius un nom osque latinisé, les Osques étant les fondateurs de la ville, qu’ils ont par la suite reconquise aux Grecs)
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
L’étonnante impiété de ce détournement d’une prière à Vénus n’est pas un exemple isolé de témoignage d’amertume envers la déesse de l’amour, comme l’indique ces vers : Quisquis amat veniat Veneri volo frangere costas "qu’ils viennent, les amoureux : Vénus, j’lui pète les côtes" pic.twitter.com/8K4UmweYoa
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
(La suite s'améliore pas : fustibus et lumbos debilitare deae / si potest illa mihi tenerum pertundere pectus / quit ego non possim caput illae frangere fuste : « j’lui casse les reins à coup de bâton, si elle peut briser mon cœur tendre pourquoi je lui briserais pas sa tête ?»)
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
Mais les insultes n’ont pas toujours cette verve poétique et sont bien souvent plus laconiques, dans le genre : Or te egrotes « je PRIE pour que tu crèves », ou bien : Fuibus egrotes « Crève, Phoebus. », ou juste : Egrota. Egrota. Egrota, soit « Crève, Crève. Crève ! » pic.twitter.com/IWDvvIBFxP
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
Dans le même genre que celle d’Agathon : une première main a écrit : Glove dicet Sympore vale « Chloé dit coucou à Symphora ! » et quelqu’un d'autre a ajouté à côté : Naevos male periat opordet « Naevus dit qu’elle ferait carrément mieux de crever ». pic.twitter.com/VbQhLfdPta
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
Mais on peut même s’en prendre aux gens déjà morts ! ainsi, sur la tombe d’un certain Caius Rarus, on trouve : C. Raro male eveniat « puissent les choses mal tourner pour Rarus » (qui est mort, hein). Sur la même tombe : Raro infeliciter « bien du malheur pour Rarus ! » pic.twitter.com/N5NbMKeTtw
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
Trois courtes attaques : le fameux in cruce figarus : "va te faire crucifier !", tout aussi expéditif que ce court avertissement : Samius Cornelio suspendre : « de Samius, à Cornelius : va te pendre »., ou encore : Macer cerebri moti : "Macer, t'as le cerveau qui vrille" pic.twitter.com/M7IrCy8gGT
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
Hormis les menaces, il est également d’usage d’affubler ses adversaires d’appellations fleuries, « espèce de cadavre » étant un incontournable, ainsi : cadaver mortus « vieux cadavre crevé », ou : tu mortus es, tu nugas es « t’es décédé mec t’es plus rien !"
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
Enfin, cette intemporelle formule, reprise dans les plus fines œuvres de la culture populaire (j’espère que vous l’avez) : Sporus omo mortus « Sporus, t’es un homme mort ! » pic.twitter.com/brd8SuB0Xc
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
Mais les insultes peuvent être plus imagées et refléter une véritable exaspération, ainsi : Oppi emboliari fur furuncule : « Oppius sale bouffon de voleur espèce de furoncle ! » pic.twitter.com/V9ImCH18Wb
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
Ou encore cette invocation visiblement désespérée : optume maxime Iupiter domnus omnipotens Acratus servo nequa : « Ô Jupiter très bon et très grand seigneur maître de tout, mon esclave Acratus craint grave »
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
Je finis avec cette blagounette d’un petit farceur : sur une inscription à la gloire de Romulus, légendaire fondateur de Rome, ROMVLVS CALOS « vive Romulus », quelqu’un a rajouté un petit v, d’où ROMVLVS CALvOS = « Romulus le chauve mdrrr »
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
(Et les sources : An Introduction to Wall Inscriptions from Pompeii and Herculaneum, de Rex. E. Wallace ; le Corpus Inscriptionum Latinarum & le site Epigraphische-Datenbank Clauss – Slaby)
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
Précisons que les contemporains voyait souvent tout ça avec dédain, comme le montre l'inscription suivante: Admiror o paries te non cedidisse ruinis qui tot / scriptorum taedia sustineas : "je m'étonne, mur, que tu ne te sois pas encore effondré sous le poids de tant d'inepties" pic.twitter.com/DqsbcLwwmk
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 1, 2018
En rab, inscriptions à plusieurs mains :
1 – Successus textor amat Coponiaes ancilla/nomine Hiredem quae quidem illum non curat sed ille rogat illa com(m)iseretur/scribit rivalis vale :— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 2, 2018
"Successus le tisserand aime une servante de Coponia : elle s'appelle Iris et elle s'en fout de lui, mais il insiste pour attirer sa pitié, signé : un rival"
2 – invidiose quia rumperas secare noli formonsiorem // et qui est homo pravessimus et bellus :
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 2, 2018
"tu es peut-être jaloux mais ne t'attaque pas à quelqu'un de plus beau, un homme bien plus courageux et charmant"
1 – Dixi scripsi amas Hiredem / quae te non curat / Successo /ut su[p]ra/ Severus :
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 2, 2018
"Je l'ai DIT, je l'ai ECRIT ; tu aimes Iris et elle s'en fout de toi, signé : Severus qui vaut bien mieux que Successus" pic.twitter.com/DWZTVEgSFD
— Dr. Orodru (@Hugorodru) October 2, 2018
Ah, un ajout important, trouvé sur un mur de la basilique de Pompéi :
Chie opto tibi ut refricent se ficus tuae
ut peius ustulentur quam
ustulatae sunt"Chius ! Je souhaite que tes hémorroïdes te démangent à nouveau ! Qu'elles brûlent comme jamais elles n'ont brûlé !"
— Dr. Orodru (@Hugorodru) November 12, 2018
Il semble d'ailleurs que le pauvre Chius ne s'en est pas remis, comme le montre l'inscription suivante non loin:
Pyrrhus Chio conlegae sal
moleste fero quod audivi
te mortuom itaqe val"Pyrrhus à son collègue Chius: j'ai appris avec grand peine que tu étais mort, adieu alors" pic.twitter.com/e35qEfzJOv
— Dr. Orodru (@Hugorodru) November 12, 2018