Thread : Les culottes de Tata Suzanne
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Un thread signé @noemie_issan.
Certaines histoires nous font beaucoup rire enfant jusqu’à ce qu’on comprenne l’envers du décor :
Ce qui nous faisait rire quand on était petit est parfois ce qui nous fait pleurer quand on devient adulte.
Un exemple:
Jai une grande-tante qui s'appelle Tata Suzanne, et qui offre à toutes les filles et femmes qui viennent la voir, des culottes.
— N-IB (@noemie_issan) July 20, 2019
Parfaitement, vous avez bien entendu, des culottes. Depuis que je me souviens d'elle, je me souviens de ce truc loufoque. On va chez Tata-Suzanne, on repart avec des paquets de culottes neuves. Et on a pas le droit de rigoler ou de se moquer. La barbe.
— N-IB (@noemie_issan) July 20, 2019
Tata Suzanne a donc en permanence un stock de culottes féminines neuves DE TOUTES LES TAILLES. Et de très belle qualité. Qu'elle donne avec empressement à toute personne de sexe féminin qui lui rend visite. Ses petites filles, mais ca peut aussi être des femmes de ménage ou autre
— N-IB (@noemie_issan) July 20, 2019
J'ai appris recemment pourquoi.
Et depuis, j'ai plus du tout envie de rire.
— N-IB (@noemie_issan) July 20, 2019
Faut remonter un peu dans l'histoire familiale pour comprendre.
Tata Suzanne est une des soeurs de mon Pépé sauf qu'elle, c'est la petite. Quand Pépé était dans sa vingtaine, ils ont perdu leurs parents, des bourgeois tunisiens de Gabès.
— N-IB (@noemie_issan) July 20, 2019
Les grands frères et soeurs, qui étaient pas exactement des gens sympas, ont dilapidé l'héritage en écartant soigneusement les plus jeunes. Pépé donc. Mais aussi Suzanne et Simon, qui étaient encore gosses (10 ans pour lui, 12 ans pour elle je crois).
— N-IB (@noemie_issan) July 20, 2019
Et, autre truc sympa, ils ont vendu les maisons et les terrains, laissant les deux plus jeunes sans foyer fixe.
Tata Suzanne a été pendant un temps plus ou moins vagabonde.
— N-IB (@noemie_issan) July 20, 2019
Ses grandes soeurs, versions tunisiennes d'Anastasie et Javotte, lui filaient à peine à manger et la foutaient dehors.
En gros, elle a connu la rue.
— N-IB (@noemie_issan) July 20, 2019
Quand elle était plus ou moins à la rue, errant toute la journée dans Gabès, et cherchant le gîte chez la bonne âme qui voudrait bien l'héberger, elle n'avait pas de culotte.
— N-IB (@noemie_issan) July 20, 2019
Et cette sensation d'être à nu, d'être fragile au point que quiconque aurait pu la violer, ce sentiment là, elle ne l'a pas oublié.
On ne saura jamais si elle a été violée ou agressée.
— N-IB (@noemie_issan) July 20, 2019
Elle ne l'a jamais dit. Mais en tous cas, cette sensation de faiblesse absolue, que n'importe quel homme pourrait s'il le voulait, la toucher ou l'agresseur, voilà une sensation qui ne l'a jamais quittée.
— N-IB (@noemie_issan) July 20, 2019
Pépé, sitôt qu'il a lui même eu un foyer, à pris avec lui Simon et Suzanne. Et Mémé, qui avait donc 15 ans quand elle s'est mariée (d'amour, ce qui etait rare a l'epoque) a élevé son beau-frère et sa belle-soeur. Alors qu'ils avaient à peu près deux-trois ans de moins qu'elle
— N-IB (@noemie_issan) July 20, 2019
Encore aujourd'hui, Suzanne appelle Mémé "Tata".
Suzanne est une mère grand mère et arrière grand mère de tribu. Elle a dépassé les 85 ans.
Et elle offre toujours des culottes.
— N-IB (@noemie_issan) July 20, 2019
Une pensée à toutes les femmes de la rue. A toutes les SDF, les prostituées, les précaires, les fugueuses, toutes celles qui vivent dans leur chaire cette fragilité.
La culotte de Tata Suzanne, c'est plus qu'une culotte, c'est un bouclier symbolique
— N-IB (@noemie_issan) July 20, 2019
Et un voeu: Qu'un jour, bientôt, les femmes et les filles ne se sentiront plus à la merci dans l'espace public.
Merci de m'avoir lue.
— N-IB (@noemie_issan) July 20, 2019