Thread : l’accident du Cosmos 954
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À la fin des années 70 et donc en pleine guerre froide, les satellites espions étaient monnaie courante. Le Cosmos-954, satellite soviétique lancé en 1977, a dévié de sa trajectoire et a engendré quelques frayeurs en Amérique du Nord. Lisez plutôt.
Un thread de @Mangeon4
Savez-vous qu’en 1978, un satellite espion de l’Union soviétique équipé d’un réacteur #nucléaire s’écrase au Canada, entraînant un accident nucléaire ?
Thread : 1978, l’accident du Cosmos 954
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1/ Avant-propos : Ce thread n’aurait pas vu voir le jour sans l’aide technique de @nicolas_pillet (https://t.co/DZpwrjTp5W), @e_punctatus et @butch2k.
Merci à eux !
C’est parti. pic.twitter.com/TkKxUpsP58
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2/ En pleine guerre froide, les États-Unis et l’URSS mobilisent massivement des avions et satellites espions/de renseignements divers et variés. Voici par exemple les sites nucléaires français de Marcoule et Pierrelatte photographiés par le satellite US KH-7/GAMBIT en 1967. pic.twitter.com/T0h2zjqBrR
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3/ Une des familles de satellites soviétiques espions se nomme US-A (acronyme du russe Oupravliaemi Spoutnik Aktivni – (ru) Управляемый Спутник Активный pour Satellite Contrôlé actif). Son appellation occidentale est RORSAT (Radar Ocean Reconnaissance Satellite).
© Igor Marinine. pic.twitter.com/uX5srRRpt2— Michaël Mangeon (@Mangeon4) November 11, 2022
4/ Ce programme qui démarre en 1961 a pour objectif de localiser les plus gros navires de l'OTAN afin, en temps de guerre, de pouvoir guider les missiles de croisière lancés depuis des navires, avions ou sous-marins soviétiques.
Un scénario à la "Tempête rouge" de Tom Clancy. pic.twitter.com/rzhj6eHfLW
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5/ 34 lancements opérationnels de satellites US-A sont réalisés entre 1970 à 1988. Ces satellites sont équipés d’un réacteur nucléaire pour alimenter un radar et l'équipement nécessaire pour les transmissions vers une station terrestre. pic.twitter.com/kamdlrNOHY
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6/ La nécessité d'utiliser ce type de réacteur n’est pas nouvelle en URSS et aux USA (Images du réacteur SNAP 10 américain) et est essentiellement due à la faible capacité des panneaux solaires de l'époque. pic.twitter.com/4sy6m1TB9d
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7/ Le BES-5 soviétique (Бук, “Buk” littéralement “Hêtre”) est un réacteur à neutrons rapides utilisant un caloporteur NaK (eutectique sodium/potassium), pour des raisons de compacité du cœur, et de 6 réflecteurs mobiles en béryllium. Le combustible est de l’uranium enrichi à 90%. pic.twitter.com/EhwY0p9xpr
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8/ Le cœur du réacteur est extrêmement compact (67 cm de long, 24 cm de diamètre et entre 31-44 kg). Il est équipé d’un blindage contre les rayonnements gamma et neutron. Un radiateur permet d’évacuer dans l’espace la chaleur générée. L’ensemble pèse 385 kg. pic.twitter.com/GNEummWEQW
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9/ Un convertisseur thermoélectrique assure la production électrique d'un rendement assez élevé d’≈ 3%. Ce convertisseur est traversé par le circuit primaire de NaK (700° C) qui retourne ensuite dans le cœur (600° C). Des pompes électromagnétiques assurent la circulation du NaK. pic.twitter.com/eocqeL07km
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10/ En fin de mission, le cœur du réacteur est normalement éjecté du satellite pour un transfert vers une orbite haute de garage entraînant une émission de gouttelettes de NaK qui sont aujourd’hui autant de débris spatiaux…
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11/ Les satellites US-A soviétiques sont lancés par une fusée Tsiklone-2 (Photo ©Roscosmos). C’est le cas du satellite nommé COSMOS 954 qui décolle le 18 septembre 1977 depuis le cosmodrome de Baïkonour.
Rien ne va se passer comme prévu…
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12/ Le 7 novembre 1977, les experts américains du Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (North American Aerospace Defense Command, NORAD), via des radars, remarquent une instabilité dans la trajectoire du satellite. pic.twitter.com/5z62IuRoAo
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13/ Les spécialistes du NORAD commencent à mettre à jour les tracés du moment et de l'endroit où le satellite rentrera dans l'atmosphère. La plupart de ces calculs sont effectués au Lawrence Livermore National Laboratory grâce à un supercalculateur Control Data Corporation 7600. pic.twitter.com/YUPSOndQG4
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14/ Le TsKKP, l’équivalent soviétique du NORAD, suit également le satellite en perdition. Dans ses mémoires, le général Votintsev explique que le 20 décembre 1977, le TsKKP prédit, secrètement, un impact le 24 janvier 1978 à 15h12 dans une zone montagneuse inhabitée du Canada. pic.twitter.com/kDg7uUQG5S
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15/ Redoutant un impact aux USA, le 19 décembre 1977, un groupe de travail interagences du Conseil de sécurité nationale (NSC) est créé regroupant CIA, ministère de la Défense, de l'Énergie, département d'État, Agence de protection de l'environnement (EPA)… pic.twitter.com/F8uMbn7iDK
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16/ Début janvier, l'orbite de Cosmos 954 se dégrade soudainement. Les experts américains mettent leurs calculs à jour et estiment une date de rentrée dans l'atmosphère au 24 janvier 1980, mais l'endroit où le satellite pourrait s’écraser demeure inconnu. pic.twitter.com/gFyHWXoWK9
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17/ Des contacts sont établis avec l'ambassadeur soviétique aux USA Anatoly Dobrynin. L’URSS confirme que le satellite est équipé d’un réacteur nucléaire mais qu’il devrait brûler en entrant dans l'atmosphère… pic.twitter.com/TL9GlXH36u
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18/ La modélisation informatique établit que l'Australie, la Grande-Bretagne, le Canada, le Japon et la Nouvelle-Zélande sont situés le long de la trajectoire orbitale du satellite. Le Canada l'apprend pour la 1ère fois le 19 janvier 1978.
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19/ Le 24 janvier 1978 à 6h58, le satellite Cosmos 954 entre dans l'atmosphère au-dessus de l'île de la Reine-Charlotte, un archipel canadien situé au large de la Colombie-Britannique. Il se désintègre et son compartiment réacteur est rompu. pic.twitter.com/Za8mTnfJ3Z
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20/ Les débris se dispersent depuis la bordure ouest du Grand lac des Esclaves dans les Territoires du Nord-Ouest du Canada, se déplaçant vers l'est-nord-est sur une distance de 800 km le long de la rivière Thelon jusqu'à la région juste au nord de Baker Lake. pic.twitter.com/b1sZia2tn1
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21/ Pierre Elliott Trudeau (à gauche), 1er ministre canadien est informé par le président américain Jimmy Carter (à droite). Les USA offrent une assistance pour localiser les débris et nettoyer la zone. Le Canada accepte et refuse l’aide de l’URSS. pic.twitter.com/o8j0FVa6Iv
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22/ C’est le début de l'opération Morning Light (Lumière du matin), un nom donné en raison de la trace lumineuse laissée par le satellite très tôt le matin du 24 janvier 1978 au-dessus du Nord canadien où le soleil ne se lève que quelques heures en hiver. pic.twitter.com/4zK5Fk1VCm
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23/ Une équipe mixte canadienne et américaine est mise en place. Elle est composée de soldats canadiens, de scientifiques et de spécialistes américains qui doivent passer au peigne fin la zone pouvant accueillir des débris radioactifs. pic.twitter.com/Lmn8cNPHZa
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24/ Évidemment, la recherche est complexe : Un territoire de 124 000 km2 de nature sauvage subarctique doit être inspecté avec des températures qui descendent sous les -40 °C, en plein cœur de l’hiver. Un camp est établi, Camp Garland, également appelé Cosmos Lake. pic.twitter.com/NV8Oioxf9q
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25/ Un avion spécial WC-135 Constant Phoenix, conçu spécifiquement pour détecter les explosions nucléaires, fouille l'atmosphère à la recherche de radioactivité mais ne décèle rien, tout comme des U-2 américains (photo) qui effectuent des vols d'échantillonnage sans résultat. pic.twitter.com/NTxW7BGRBD
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26/ Des spectromètres à rayons gamma sont installés sur les aéronefs canadiens CC-130 Hercules. Les avions détectent les rayonnements émis par la surface, survolant un quadrillage à 1000 pieds au-dessus de la zone suspecte du crash du satellite. Les résultats sont concluants. pic.twitter.com/5MRfh4RN2L
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27/ Des hélicoptères équipés de matériel de détection sont ensuite envoyés sur ces sites pour localiser précisément la source radioactive. Une équipe de récupération suit pour inspecter la zone au sol et récupérer toutes les matières radioactives. pic.twitter.com/HhdPd2bcHk
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28/ La zone est ratissée et des objets parfois très radioactifs sont découverts comme en février 1978 : des tiges et de cylindres de béryllium partiellement enfoncées dans la neige et la glace affolent les compteurs de l’équipe de récupération qui affiche 1 Gy/h. pic.twitter.com/939vuaHCUJ
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29/ Un autre gros morceau est découvert par hasard le 27 janvier 1978 par des aventuriers au milieu d'un voyage de quinze mois à travers le nord du Canada.
La phase 1 de l’opération Morning Light se termine à la mi-avril 1978. pic.twitter.com/tV78p3LHFI— Michaël Mangeon (@Mangeon4) November 11, 2022
30/ Dans la zone de recherche, on trouve environ 10 000 habitants, inquiets pour leur santé. Les Inuits, les Chipewyan et les habitants de Yellowknife reçoivent des instructions, comme sur ce panneau. pic.twitter.com/kx8BBiHGVt
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31/ L’inquiétude, amplifiée par le suivi médiatique, est fondée : certains objets retrouvés présentent de forts taux de radioactivité (5 Gy/h au contact pour le plus radioactif) pouvant entraîner des dangers sanitaires importants, voire la mort. pic.twitter.com/DRjcdFSY4l
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32/ Lors de la phase 2, jusqu'en octobre 1978, les équipes opèrent des recherches poussées dans les zones habitées : villes/villages et autour des pavillons de chasse et de pêche. Les équipes de recherche font également l’objet d’un suivi dosimétrique (info : 40 mrem = 0.4 mSv) pic.twitter.com/n9a856ArpI
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33/ Sur l’ensemble de l’opération, environ 65 kg de matériel issus du satellite sont récupérés, dont des centaines d’objets radioactifs allant de particules (de la taille d’un grain de poivre) utilisées dans le réacteur nucléaire à des pièces beaucoup plus imposantes. pic.twitter.com/WeV4nP8wqR
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34/ Les débris sont analysés par les Whiteshell Laboratories de la commission atomique du Canada. Les spécialistes ont pu découvrir des détails techniques sur le réacteur et ont estimé qu’environ 92,5 Térabecquerel [Tbq] de radioactivité a été relâché sur le sol canadien. pic.twitter.com/TIVKNUo3oE
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35/ Les suites de l’histoire sont aussi juridiques et politiques. L’URSS considère ne devoir aucune compensation au Canada qui a refusé son aide. Le Canada tente d'amplifier les dégâts causés par le satellite. En 1981, les 2 parties sont ok pour 3 millions de $ de compensation. pic.twitter.com/c64eJpHQM4
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36/ Après l’opération Morning Light, de nombreux travaux visant à étudier les satellites à propulsion nucléaire et accroître la sûreté de cette technologie pour l’exploration spatiale seront mis en place, notamment des modifications du design du réacteur BES-5 soviétique. pic.twitter.com/NqhgSJBN9g
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37/ Si les experts canadiens et US ont finalement conclu après l'opération que les risques pour la santé sont minimes…l'histoire du Cosmos 954 est encore vivante.
Pour preuve, voici une recherche de débris du satellite soviétique, quelque part au fin fond du Canada.
FIN pic.twitter.com/BUc8UsdRdk
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38/ Sources en photoshttps://t.co/DZpwrjTp5Whttps://t.co/2ZGamPBQFZhttps://t.co/YCKPywrfWGhttps://t.co/Xq59XKqVIMhttps://t.co/xpaXVj5n83https://t.co/oFiTrdneiMhttps://t.co/mODKq10pychttps://t.co/OVrvw8Xubshttps://t.co/1yGrLd3c9phttps://t.co/3mBlDZaJH5 pic.twitter.com/WqhiawBBjK
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39/ Sources photos/vidéoshttps://t.co/t6w8DQ6kMEhttps://t.co/9GueNCntVzhttps://t.co/Vc6NxaTztkhttps://t.co/z0gcFQPVMIhttps://t.co/g0LKhlhwo9https://t.co/eL9XjuDsIYhttps://t.co/UQ5EGkXPVu
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