Thread : la présomption d’innocence en France
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Médiapart a publié hier un long reportage dans lequel 8 femmes accusent le Youtubeur Léo Grasset (DirtyBiology). L’une relate des faits de viol et les sept autres des violences psychologiques et sexuelles. L’article est très difficile à lire d’autant plus qu’il fait écho à des situations que de nombreuses femmes ont vécues, notamment l’emprise dans une relation. Le Youtubeur a contesté les faits qui lui sont reprochés dans un communiqué publié sur ses réseaux sociaux, en invoquant son « droit à la présomption d’innocence ». C’est aussi ce que proclament de nombreux hommes à chaque fois qu’une affaire de viol surgit dans les médias. Mais qu’est-ce que la présomption d’innocence au juste dans le droit français et peut-elle être invoquée dès lors que des femmes témoignent publiquement ?
Un thread de @Lawphilisee
1/ Aujourd’hui c’était encore un festival de « présomption d’innocence » à tort et à travers, comme pour chaque affaire de viol.
Tuto : comment on se sert de la présomption d’innocence ? Pourquoi elle ne s'applique pas en ce moment à Léo Grasset ?
A bons entendeurs. Thread 🧵 pic.twitter.com/dr8FU7eyVF
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
2/ On commence par les sources : plusieurs textes font référence à la présomption d’innocence, notamment l’article 9-1 du code civil et l’article préliminaire du code de procédure pénale.
La CEDH, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen y font aussi référence. pic.twitter.com/MnpBXRkPG1— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
3/ On continue avec la définition : Le manquement à la présomption d’innocence « consiste à présenter publiquement comme coupable, avant condamnation, une personne poursuivie pénalement » (1ère civ. 6 mars 1996, n° 93-20.478).
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
4/ La présomption d’innocence a deux csqces :
– le ministère public doit prouver la culpabilité d’une personne (ce n'est pas à elle de prouver son innocence)
– la personne a le droit de ne pas être déclarée coupable avant condamnation, et peut être indemnisée si c’est le cas.
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
5/ Premier point fondamental : la présomption d’innocence concerne les personnes poursuivies pénalement. Donc s’il n’y a pas de poursuite engagées par le ministère public, il n’y a pas de présomption d’innocence.
Vous doutez ? Allez lire cette décision : https://t.co/6GSqQFXsTZ
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
6/ Donc le premier truc à mettre au clair : si la personne n’est pas poursuivie, on ne parle pas de présomption d’innocence.
Vous me voyez venir ? Arrêtez. de. dire. que Léo Grasset est protégé par la présomption d’innocence. C’est juste faux. Au mieux un abus de langage.
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
7/ Et quand il y a poursuite, la présomption d’innocence n’est pas un totem d’immunité. Il est toujours possible d’écrire des articles, de commenter, de diffuser des informations, etc.
La précaution à prendre : ne pas affirmer que X et coupable de telle infraction.
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
7bis/ La présomption d'innocence est un principe absolument fondamental de la procédure pénale. Et il faut vraiment veiller à le respecter.
Seulement, il ne faut pas lui faire porter ce qu'il ne porte pas.
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
8/ Maintenant que c’est dit, il y a qd même des droits qui protègent les personnes non-poursuivies.
Particulièrement une infraction : la diffamation (+ la dénonciation calomnieuse pour les victimes) + tout ce qui relève de l’injure et du harcèlement, etc.— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
9/ La diffamation c’est : une « allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne ».
Typiquement, rapporter qu’une personne a violé ou peut-être violé des personnes peut porter atteinte à son honneur.https://t.co/pvFcIeRd1i.— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
10/ La diffamation peut être constituée que les faits rapportés soient vrais ou faux. C’est une infraction un peu particulière car elle s’articule avec la liberté d’expression.
Il y a donc PLEIN de cas où les allégations et imputations sont justifiées et la diffamation écartée.
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
11/ Aussi, avant de crier à la diffamation dès qu’une victime s’exprime ou que des informations sont relayées, il serait bon de prendre en compte l’ensemble des droits.
Par exemple la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées.
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
12/ Autre exemple, dans l’affaire Mamère c/ France, portée devant la CEDH en 2011, la Cour avait clairement énoncé, face à un recours en diffamation « la valeur éminente de la liberté d’expression, surtout quand il s’agit d’un débat d’intérêt général ».
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
13/ DONC : la présomption d’innocence, ça marche que s’il y a des poursuites sinon → diffamation.
La diffamation sanctionne des propos qui portent atteintes à l’honneur et à la dignité des personnes, mais elle ne sera pas retenue si les propos sont *justifiés*.— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
14/ Avec la diffamation, pour juger si un propos est justifié ou non, on recherche si l’auteur de ces propos est de « bonne foi ».
On a une décision récente qui rappelle ce qu’est la bonne foi dans une affaire MeToo.https://t.co/YuTcD0xykt
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
15/ La bonne foi suppose ainsi la réunion de 4 éléments : « la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression, ainsi que l’existence d’une enquête sérieuse – ou d’une base factuelle suffisante ».
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
16/ Forcément, le juge appréciera les faits souverainement. Mais avant de crier à la diffamation, vous devriez tous réfléchir à si ces 4 éléments ne sont pas réunis.
Cas pratique avec l’affaire soulevée par Médiapart : https://t.co/ZJXmQALUGP
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
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1. Légitimité du but poursuivi : la justice a déjà reconnu que des dénonciations de violences sexuelles peuvent s’inscrire dans « un débat d’intérêt consécutif à la parole des femmes à la suite de l’affaire X ». On est ici dans un contexte similaire.— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
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2. Base factuelle suffisante : on a pas besoin de condamnation pénale, juste d'une enquête sérieuse.Ici, on a de multiples témoignages, des textes qui se recoupent, bref une enquête super sérieuse.
Ce qui n'était pas le cas de l'article du Point sur Guarrido et Corbière.
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
19/ Maintenant, l’animosité, la prudence et la mesure dans l’expression.
Il faut distinguer le travail des journalistes, les victimes et les tiers.
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
20/ Pour les victimes, on a une décision : si les propos « s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante [il convient] d'apprécier moins strictement (…) l'absence d'animosité personnelle et la prudence dans l'expression » (21-16.497).
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
21/ Ici les victimes sont ultra calmes, mais c'est bon à savoir.
Pour les journalistes et tiers : je ne sais pas si la jurisprudence ci-dessus s’applique.
Mais concernant Médiapart, leur travail apparaît quand même assez carré.
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
22/ Pour les tiers, on doit savoir que relayer les faits et les commenter sans animosité et avec prudence ne constitue pas forcément une diffamation.
Mais aussi se rappeler que les propos infondés, violents, etc. peuvent être diffamatoires et qu'il faut faire attention.
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
23/ On arrive au bout de ce thread. Quel était son but ?
👉Souligner que les accusations de diffamation et d’atteinte à la présomption d’innocence sont bien souvent excessives et malavisées.Ces droits ne sont pas des interdictions d’informer, de dénoncer, de s’exprimer. pic.twitter.com/svu80CrOCK
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
24/ On peut aussi préciser qu’accuser une victime de diffamation lorsqu’elle s’exprime, c’est aussi possiblement la diffamer elle, juridiquement.
Dans tous les cas, ces notions juridiques n’empêchent JAMAIS de choisir de croire les victimes qui s'expriment.
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
25/ Par ailleurs la présomption d’innocence, la diffamation, st des concepts juridiques qui prennent en compte les considérations d’intérêt général, comme la libération de la parole.
Ça ne veut pas dire qu’on peut tout dire et tout faire, accuser n’importe qui de n'importe quoi.
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
26/ Mais ça veut dire que se jeter sur toute personne qui relaie une enquête sérieuse, émet des soupçons, s’interroge, dénonce ou fait part de son ressenti, en brandissant la présomption d’innocence et la diffamation témoigne surtout de votre incompréhension du sujet.
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
27/ C’est de plus quelque chose de néfaste pour les victimes de violences sexuelles, qui participe à leur silenciation.
Voilà ! Ce thread est terminé ! J’espère que vous y aurez appris des choses et trouvé des outils. Si vous avez des questions/remarques n'hésitez pas.
A+ ! pic.twitter.com/PZ5TwbToka
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
Ajouts :
J'ai oublié de l'expliciter, j'étais plongée dans mes trucs de droit. Mais il me paraît très important de déclarer fermement mon soutien à toutes les victimes, celles qui prennent la parole et celles qui se taisent, hier, aujourd'hui, demain, à l'occasion de ce thread. Soutien ✊
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 23, 2022
ERRATUM important ! Quand je parle de "personne poursuivie" c'est beaucoup trop imprécis.
Les personnes suspectes ou mises en cause à l’occasion d’une procédure pénale (garde à vue et mis en examen) sont aussi concernées.
Merci Matthieu.https://t.co/viBAptkmBV— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 24, 2022
Pour une appréciation plus juste du champ d'application du principe de la présomption d'innocence, deux tweets. Celui-ci :https://t.co/kHJ3VSBNPI
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 24, 2022
Et celui là : https://t.co/Dy52SaGX3q
— Droit et féminisme (@Lawphilisee) June 24, 2022