Thread : idées reçues en neurobiologie
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Une twitta qui demande « un savoir ou une info relativement banal dans votre métier mais que le public lambda serait étonné d’apprendre ». Un chercheur en neurobiologie qui répond. De nombreuses réactions étonnées. La naissance d’un thread.
Un thread de @JeremieNaudeFR
OK j'avais posé ça pour le fun mais là je n'ai pas d'autre choix que de faire un fil d'explications alors c'est parti ! https://t.co/QpA8NlUqBm
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
L'expérience de la prison de Stanford est un exemple d'expérience ayant servi à plein d'interprétations sur la nature humaine ("mis dans certaines conditions les humains font le mal") mais le chercheur, Zimbardo, l'a complètement truquée.https://t.co/YaaxyfVf9u
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Dans la prison "simulée", les participants jouant le rôle des gardiens auraient développé d'eux même des tendances au sadisme. Mais Thibault Le Texier, qui a eu accès aux archives de Zimbardo, montre que les gardiens ont été briefés par le chercheur sur la façon de se comporter.
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Zimbardo a influencé les participants mais a aussi mal contrôlé la tendance qu'ont des participants humains à essayer de deviner l'attente du chercheur, un biais bien connu que les chercheurs de psychologie sociale veulent éviter.
https://t.co/XRtS9cVwcH— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
La solidité d'un résultat en psychologie dépend donc de critères propres (méthode de l'expérience, contrôle de facteurs confondants, portée explicative) qu'on a tendance à négliger (quand c'est repris dans la presse par ex.) au profit d'une "explication neuro".
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Mais corréler une observation psycho avec une activation neurale n'apporte pas la preuve que l'observation psycho serait plus "réelle" (c'est une sorte d'effet d'autorité de la biologie) : ça peut être faux *et* corrélé (sans qu'on sache pourquoi).
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Donc la psychologie est une science (vrai aussi pour la socio), avec des critères propres, et la neurobiologie apporte un autre éclairage, complémentaire, des mécanismes sous-jacents. Pourquoi je dis ça ? Car les explications neuro sont parfois de la mauvaise psycho.
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Par exemple, le cerveau reptilien. MacLean propose la théorie du cerveau triunique (reptilien, limbique, cortex) sans données et depuis ça a été démonté des milliers de fois, mais le mythe persiste. Cette théorie est fausse pour plusieurs raisons.https://t.co/RhLvx7cwDa
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Une mauvaise vision de l'évolution place l'humain au sommet d'une échelle naturelle qui irait du plus simple au plus complexe. En réalité l'évolution est plus comme un buisson avec des branches qui divergent selon différents types d'adaptation et de dérivés (du hasard quoi).
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Les parties les plus anciennes du cerveau (qui sont communes aux reptiles et aux humains) ont continué d'évoluer chez les reptiles, qui ne sont pas des dinosaures que l'évolution aurait figé… voir aussi :https://t.co/dYHGzuq2wv
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Chez les mammifères il n'y a pas que le cortex qui aurait évolué pour donner des comportements complexes mais ceux-ci émergent aussi de nouvelles interactions avec les parties plus profondes du cerveau.
https://t.co/OX8xrmXkjq— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Mais ce qu'on remarque c'est que les théories du cerveau reptilien ou triunique recyclent de la mauvaise psychologie où on nous présente une dualité simpliste entre raison et émotions (ou 3 entités avec l'instinct parfois séparé des émotions). https://t.co/2pnJnmxcNR
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Si on vous dit que la science a trouvé que l'esprit était composé de 2 (ou 3) entités vous trouverez ça simpliste, mais si on vous dit qu'il y a 3 composantes fondamentales du cerveau ça en impose plus (alors que c'est la même idée). Ça s'applique à des théories plus modernes…
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Comme par exemple la séparation entre système 1 (rapide) et système 2 (lent) de Kahneman, qui n'est pas plus solide que les autres découpages en 2 systèmes https://t.co/1JsHv8oYzS
Ce qu'on se demande c'est si ces découpages sont utiles à la compréhension https://t.co/hcg1HvFw4E— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Car la question qu'on se pose est celle des liens entre les niveaux biologique et psychologique, donc le modèle mécanistique qui assigne une fonction à des composants (cortex, mais aussi sérotonine, dopamine).
Et la fonction d'une molécule n'est *jamais* une fonction psycho.— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Même si le cerveau n'est pas une machine, on peut s'en servir comme analogie : dans un ordinateur, il n'y a pas de composant dont la fonction est de gérer un logiciel en particulier bah dans le cerveau c'est pareil, il n'y a pas d'hormone du plaisir ou de l'amour.
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
D'ailleurs dans un article très fun des chercheurs ont joué à étudier un processeur comme si un neuroscientifique "a l'ancienne" l'étudiait, en cassant des liens ou en mesurant des activités en lien avec des jeux vidéos… https://t.co/0xvvvsQmxy
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Impossible de trouver le "mécanisme de donkey kong" de cette façon. Il faut donc toujours se méfier quand on lit qu'on a trouvé "l'hormone de", "la zone de", ou le "gène de" + une fonction psychologique. Ça ne marche juste pas comme ça.
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
C'est le genre de confusion qu'on voit par exemple sur le rôle de la sérotonine dans la dépression : la sérotonine n'est pas un simple niveau de bien-être qu'il faudrait contrôler car s'il est trop bas on ferait une dépression.https://t.co/3gZXRqYtSk
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
La théorie de la sérotonine comme cause de la dépression vient d'un malentendu sur les antidépresseurs qui augmentent le niveau de sérotonine dans le cerveau. Mais on n'est pas fatigués par manque de vitamine C (pourtant on peut en prendre pour se donner un coup de fouet).
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Donc on ne comprend pas toutes les actions mecanistiques de la sérotonine, et on sait que ce n'est pas l'hormone du bonheur, mais on a observé que booster son niveau aidait certaines personnes faisant une dépression. Ce sont deux questions différentes.https://t.co/aQ1mpEE6f1
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Je le précise car il ne faudrait pas tomber dans la position inverse qui serait "si la sérotonine n'est pas l'hormone du bonheur alors les antidépresseurs ne fonctionnent pas": ils restent une bonne indication faute de mieux (même s'ils ne marchent pas toujours).
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Un autre aspect des liens entre dépression et biologie est qu'il ne faut pas faire de fausses opposition entre des niveaux biologiques, psychologiques et sociaux. Un trouble psy c'est la rencontre entre ces facteurs imbriqués.
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
On retrouve le même principe pour l'ocytocyne : ça a d'autres rôles que l'amour ou l'attachement, et l'attachement a plein d'autres bases biologiques que l'ocytocyne. On dit que le système est redondant : plusieurs mécanismes sont possibles (heureusement)https://t.co/VaPQyZpOGM
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
J'arrive à la limite de 25 tweets 😬 je fais une pause et je reprends avec la dopamine pour illustrer qu'il ne faut pas passer juste de "1 molécule = 1 fonction" à "1 molécule = plein de fonctions, 1 fonction = plein de molécule" qui serait un peu flou.
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
La dopamine se retrouve donc impliquée dans des fonctions aussi diverses que la récompense, la motivation, la motricité, le stress, la perception du temps, la mémoire… bien loin de l'image de l'hormone du plaisir. Comment décrire alors le rôle de la dopamine ?
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Un point de départ c'est le rôle de la dopamine dans la récompense : si une molécule est libérée quand on obtient une récompense, c'est bien qu'elle doit nous donner la sensation de plaisir ? Pas forcément.https://t.co/hWNUC4qBIq
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Si on bloque la réception de la dopamine, un animal va quand même consommer une récompense qu'on lui propose, et avoir des réactions faciales de plaisir (chez les mammifères, il y a des analogues de la réaction des bébés quand ils goûtent quelque chose de sucré). pic.twitter.com/OirGIObvS2
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Par contre l'animal ne voudra plus faire d'efforts pour obtenir une récompense : la dopamine n'est pas nécessaire pour "aimer" mais pour "vouloir". Alors est-ce que c'est l'hormone de la motivation plus que celle du plaisir ? C'est un peu plus compliqué.https://t.co/2aIQegATeu
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
La dopamine est libérée à deux moments clefs: au départ si on a une récompense imprévue, au moment de la récompense; mais si on apprend qu'une action amène une récompense, la dopamine est libérée au moment de l'action (mais plus au moment de la récompense).
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
On dit que la dopamine compare la récompense réelle et celle qui est prédite ("mieux ou moins bien que prévu"). Ce signal est utilisé pour se motiver (sur le moment) mais aussi à apprendre que l'action était bénéfique : c'est aussi une molécule de mise en place d'habitudes.
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
A ce sujet, il est faux de dire que la dopamine engendre une addiction : après apprentissage quand on obtient ce qu'on a prévu, plus d'activation de la dopamine : le système est stabilisé. L'addiction est une déstabilisation de ce système.https://t.co/JDmorxWQ5Q
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Enfin il y a des aspects purement moteurs de la dopamine, comme on peut le voir dans la maladie de Parkinson https://t.co/o6z1Mg5Sk4. Et aussi des aspects de perception du temps https://t.co/5YP3PST7zR. Et d'apprentissage qui n'implique pas de récompenses https://t.co/CnVrjHIw9s
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Donc ce n'est ni le plaisir, ni même la motivation. En l'état des connaissances, on propose plutôt que la dopamine est un mécanisme qui permet de signaler si une ressource du cerveau (action motrice, attention visuelle, mise en mémoire, temps disponible) mérite d'être "dépensée"
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Mais bien sûr, le type de "ressource cérébrale" à dépenser va dépendre de la situation dans laquelle la dopamine est libérée, de la quantité de dopamine, de quel noyau la libère et où, et du reste du cerveau (et du corps).https://t.co/0QHh2Dw4Y1https://t.co/ZNhFQmd2Tr
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Encore une fois, la dopamine est utilisée dans des discours simplistes sur la psychologie auxquels on ne prêterait pas autant d'attention sans l'emballage biologique (complètement faux comme on a pu voir) qui sert d'argument d'autorité.https://t.co/E7hqyB4xoV
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023
Ce qu'il y a à retenir c'est que la fonction d'une molécule ne se définit pas au niveau psychologique, et qu'une molécule n'est pas la "cause" d'un comportement mais le composant d'un système (une sorte de contrainte mécanique, un rouage qui obéit à une logique d'ensemble).
— Jérémie Naudé (@JeremieNaudeFR) January 15, 2023