Thread : Au cœur d’un incident ferroviaire avec un conducteur
1
Un thread signé @conducteur_PSE.
Aujourd’hui l’histoire d’un problème avec un train et des moyens engagés pour le résoudre :
Vous avez sans doute entendu parler d’un #TGV pour Perpignan bloqué 6 heures dans un tunnel à la sortie de Paris.6 heures ce n’est pas acceptable mais ce n’est pas si simple que ça ! Étant intervenu pour secourir la rame en détresse, petit Thread au cœur de l’incident ⤵️ pic.twitter.com/tySITVbkCk
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Acte I: Jusqu’ici tout va bien.
Il est 10h07 quand le TGV 9713 pour Barcelone part de la Gare de Lyon. Il a son bord 660 personnes. A 10h17 le conducteur rentre sur la LGV. Au même moment: incident d’alimentation électrique ⚡️ Plus d’électricité dans la caténaire. ⤵️— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Comme le prévoient les procédures de sécurité dans un tel cas, le conducteur doit s’arrêter d’urgence. Sauf que……l’entrée de la ligne à grande vitesse Paris Sud Est est située dans un tunnel qui permet de passer sous la commune de Limeil Brévannes (91). ⤵️ pic.twitter.com/bFjI8Qwq4w
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Ce tunnel en forme de cuvette possède une rampe de 35 pour mille. Ça ne paraît pas grand chose quand on est « lancé » à 160 km/h. Pour deux tgv de 865 tonnes arrêtés, c’est l’Everest. Et le TGV est arrêté en plein milieu du tunnel….dans la rampe⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Bref, l’endroit le plus défavorable lors d’ un incident. 6 autres TGV sont également arrêtés en pleine voie suite à cette coupure de courant. Sur un train tout fonctionne à l’air et l’électricité. Les freins, les suspensions, les WC mais pas que.⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Plus d’électricité dans la caténaire = arrêt de la production de la basse tension: éclairage, chargeurs de vos téléphones portables, mais également arrêt des compresseurs des motrices, donc plus d’air. ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Pas de panique ! Des batteries prennent le relais pour garantir un minimum d’éclairage dans la rame le temps de retrouver une alimentation électrique. Mais elles ne peuvent tenir qu’une vingtaine de minutes. ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Acte II: #SafetyFirst
Les procédures de sécurité sont elles aussi adaptées et prévoient dans le cas d’un défaut d’alimentation électrique avec un train arrêté en pleine voie de caler la rame pour garantir son immobilisation ⤵️— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Revenons à notre TGV sans électricité, dans un tunnel, en rampe….Le conducteur voyant qu il n’y avait toujours pas d’électricité a procédé au calage de la rame avec des cales dites. « Anti dérives » ⤵️ pic.twitter.com/X734DzDZdM
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Deux TGV c’est 400 mètres 865 tonnes. Il faut donc 12 cales pour immobiliser les deux rames. Cette procédure prend une vingtaine de minutes. Il faut caler roue par roue. Au bout d’une demie heure, la fée électricité ⚡️refait son apparition ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Pendant ce temps, c’est l’effervescence au PAR (Poste d’Aiguillage et de Régulation) qui gère le trafic des TGV jusqu’à Lyon ainsi que le barreau interconnexion. Il faut autoriser les différents TGV arrêtés en pleine voie à repartir en toute sécurité ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Acte III: Naissance d’une crise
Un malheur n’arrivant jamais seul, si les autres TGV bloqués par l’incident ont pu repartir, notre #TGV9713 lui n’a pas pu se remettre en marche. Et pour cause, la rame de tête s’est mise en sécurité . Impossible de remettre la rame en service. ⤵️— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Tout de suite, le conducteur en accord avec le Poste d’Aiguillage et de régulation (notre tour de contrôle) tente de repartir dans l’autre sens (vers Paris) avec la rame « saine ». Il faut au préalable retirer les cales mises précédemment lors de la panne d’électricité ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Comble de malchance, impossible de retirer les 12 cales qui maintenaient le TGV immobilisé dans la rampe. En effet, les roues du TGV sont venues « se mettre en place sur les cales » et chacun se maintien.Le poids du train appuie sur les cales, les cales bloquent les roues CQFD ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Dans ces moments là, le conducteur est seul au monde. Quand tout va bien, tout le monde s’en moque, quand ça va mal tout le monde attend de lui un miracle. Et retirer 12 cales à la main sur deux rames de 865 tonnes arrêtées en rampe de 35 pour mille, ça relève du miracle ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Grâce à l’intervention du conducteur aidé du Pôle d’Appui Conduite (sorte de Hot Line composée de conducteurs chevronnés), l’éclairage et la Clim peuvent être remis dans la rame HS ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
A ce moment précis 2 heures se sont écoulées depuis l’arrêt. 2h c’est déjà interminable. Alors dans un tunnel….
Deux sales de crises sont ouvertes. La première au national, la seconde régionale qui avise les astreintes et les coordonne sur le terrain ⤵️— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Acte IV À chaque solution son problème:
Votre serviteur est désigné pour porter le secours à la rame en détresse. Plusieurs solutions s’offrent à nous
Solution numéro 1: Venir pousser légèrement la rame en détresse avec les locomotives diesels de secours pour retirer les cales⤵️— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Problème si ces locomotives sont très puissantes, elles ont l’âge de leurs artères. Et dans un tunnel cela aurait vite été irrespirable. Et pour les passagers et pour nous. ⤵️ pic.twitter.com/kBICCRGU0v
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Solution numéro 2: Venir avec deux rames TGV juste derrière les deux rames arrêtées pour pousser les rames en détresse et retirer les cales. Problème, les TGV sont arrêtés non loin de la section de séparation électrique. Il y a une incertitude sur l’espace suffisant ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Solution numéro 3: Venir avec une seule rame TGV pour pousser.
Solution 3bis: Transborder les clients et les faire sortir du tunnel ⤵️— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Acte VI Quels sont les ordres mon général ?
Les différents responsables de crise décident d’opter pour la solution numéro 3. Je pars donc avec une rame TGV que mes collègues de l’escale de Gare de Lyon avaient avitaillé en plateau repas ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
20 min plus tard et après avoir respecté les procédures de sécurité, j’arrive derrière les deux rames TGV en détresse. Deux collègues cadres traction sont venus me porter assistance. Je retrouve le conducteur titulaire soulagé de nous voir arriver. ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Quelques minutes plus tard nous sommes rejoins par mes collègues de la voie @SNCFreseau ainsi que des agents de la Suge (Notre Police Ferroviaire) ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Acte VII À nous de jouer !
Ma rame de secours est donc positionnée derrière les deux tgv en détresse. La manœuvre consiste à m’atteler sur les deux rames en détresse et à les pousser d’une trentaine de centimètres pour dégager ces maudites cales ⤵️— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
La manœuvre d’accostage est réalisée sans encombre. Nous sommes désormais unis par les liens de l’attelage, pour le meilleur et pour le pire…. mais surtout pour le pire ⤵️ pic.twitter.com/JNWx5XIaRk
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Acte VIII: Quand les éléments se déchaînent
Il me faut maintenant faire un démarrage en rampe et réussir à déplacer les rames TGV. Le convoi ainsi formé de trois rames mesure 600 mètres pour 1255 tonnes. Une plume…⤵️ pic.twitter.com/rw5tuHxH0Y
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Je mets de côté le téléphone qui sonne dans tous les sens….nous sommes tous concentrés, la tension est palpable. Mais c’est notre job et nous l’aimons aussi pour ça. Il y a 600 personnes bloquées et il faut tout faire pour les sortir de là ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Le manipulateur de traction est placé sur la plage traction, sélecteur de puissance sur l’effort maximal, les ventilateurs résonnent dans le tunnel, les freins sont desserrés. Pendant de longues secondes, rien ne bouge. Sorte de vol en stationnaire sur rail ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Puis, la rame se met à bouger, tout doucement. Trop doucement. Nous parvenons à retirer les 7 premières cales sous l’œil des passagers qui nous regardent nous agiter ⤵️ pic.twitter.com/cpoQ7L5jLU
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Acte IX: Quand le sort s’acharne.
Il nous reste à retirer les cales de la deuxième rame en détresse avant de pouvoir repartir. Problème, si la première rame a bougé la seconde n’a pas bougé et les cales sont toujours coincées. Nous tentons le tout pour le tout ⤵️— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Malheureusement rien n’y fait. En salle de crise nationale, décision est prise d’évacuer la rame côté Paris, de transborder les passagers de la rame en détresse dans les deux rames côté Paris, abandonner la rame HS et repartir avec les deux rames saines vers Paris. ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Les @PompiersParis sont appelés et arrivent sur les lieux. Le TGV est désormais arrêté depuis 5 heures. Nous commençons les opérations de transbordement dans le tunnel. ⤵️ pic.twitter.com/UlchELr7c2
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Tout le monde prête main forte, à nos passagers. Du conducteur aux agents de la voie, en passant par la Suge et les pompiers, nous réussissons à transborder 300 personnes (Personnes âgées, personnes en fauteuil roulant, enfants, poussettes, bagages) dans un tunnel en 45 min ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Heureusement, le transbordement se passe bien, nous en profitons pour expliquer aux passagers les raisons de leur calvaire et leur assurons que nous ferons tout pour repartir le plus vite possible ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Acte X Dénouement final.
Tout le monde est désormais installé, les pompiers sortent du tunnel accompagnés des collègues de la voie. Après échange et autorisation du poste d’aiguillage de la ligne à Grande vitesse, je suis autorisé à repartir en direction de la Gare de Lyon ⤵️ pic.twitter.com/1CsnKNxtUG— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
J’immobilise les deux rames à 17h00 au butoir de la Gare de Lyon. Les passagers désirants reporter leur voyages descendent et sont pris en charge par les équipes de l’escale ⤵️ pic.twitter.com/AcAgLr1JyY
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Un collègue conducteur de réserve reprend les deux rames pour repartir sur Perpignan. Je quitte ma rame et part débrieffer de l’incident avec les différents responsables de l’incident. Fin de l’Histoire ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Acte XII. Morale.
Si les médias se sont un peu fait écho de cet incident, je voulais vous faire part d’une autre réalité. Nous aurions TOUS voulu que cet incident se termine en quelques heures ⤵️— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Il y aura toujours des gens bien intentionnés pour s’indigner, pour s’offusquer, pour exiger des explications. Il y a des arbitrages et ont été pris. Ils sont discutables peut être, perfectibles, sans doute. Mais il fallait agir. Nous pouvons tous nous améliorer ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Mais parmi tous ceux qui sont intervenus de près ou de loin sur cet incident. Je n’ai vu que des gens impliqués, déterminés avec pour seule et unique volonté: Se sortir de cette situation compliquée en toute sécurité. ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
En ce qui me concerne je suis intervenu sur demande du directeur régional de crise sans même être d’astreinte. Deux collègues m’ont accompagné sans être d’astreinte eux non plus. Nous sommes partis sans savoir vraiment à quelle heure tout cela aller se terminer ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Mais sommes partis parceque pour nous comme pour d’autres, il n’était pas concevable de laisser 600 personnes dans un tunnel.Notre place était avant tout là bas.Cela aurait pu durer 3 heures de plus, nous serions restés.Pas d’acte héroïque.Juste une conscience professionnelle ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
Je suis certain que des tas de collègues auraient agit de la même façon s’ils avaient été à ma place. Alors si en regardant le journal, ou en parcourant Twitter vous vous êtes étonnés qu’on puisse laisser un #TGV 6 heures en panne ⤵️
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019
J’espère juste qu’en lisant ces quelques lignes, vous avez pu percevoir la complexité d’un système tel que le ferroviaire. Parcequ’un tain ne sera jamais une voiture qu’on gare sur le bas côté. Vos vies sont entre nos mains et elles valent plus que tout le reste. #SNCF
— Voie Libre SNCF (@conducteur_PSE) June 5, 2019