Les tricoteuses : une insulte sexiste qui date de la Révolution française
Le sexisme n'est pas récent dans notre société, on n'apprend rien à personne. La preuve avec cette explication sur l'insulte "tricoteuse".
Dans le cadre du procès Mazan, il y a eu de nombreux dérapages de la part d’avocat·e·s. À la sortie du procès, de nombreuses femmes étaient présentes pour soutenir Gisèle Pélicot. Suite au délibéré et une fois son client condamné, un avocat d’un des accusés s’est énervé sur ces femmes venant crier leur colère, en les insultant de “tricoteuses”. Mais d’où vient ce terme ?
Un thread de Laélia Véron
Vous avez entendu parler de cet avocat, à Mazan, qui est a insulté des féministes, les traitant d"hystériques", de "mal embouchées", et de "tricoteuses"? Hystériques et mal embouchées, on connait mais "tricoteuses", moins. C'est une vieille insulte sexiste, je vous raconte ⬇️ pic.twitter.com/s1A8vUp0ZW
— Laélia Véron (@Laelia_Ve) December 20, 2024
"Tricoteuses" renvoie aux femmes qui pendant la Révolution française n'avaient pas le droit de vote mais pouvaient assister à certaines réunions (clubs, conventions), et devaient tricoter (ou travailler) en écoutant les orateurs révolutionnaires pic.twitter.com/c4mK6wnjvf
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Elles sont devenues rapidement l'image d'un mythe contre-révolutionnaire, comme l'explique Dominique Godineau dans cet article en ligne (ma source principale, en ligne ici : https://t.co/iGC4V89HnZ) représentées comme des "furies de la guillotine", des enragées assoiffées de sang
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On comprend pourquoi l'avocat de Mazan les a traitées de "tricoteuses": les féministes rassemblées devant le lieu du procès seraient des extrémistes assoiffées de sang (= qui demandent des peines trop lourdes).
Mais c'est intéressant de creuser ce qu'il y a derrière l'insulte.— Laélia Véron (@Laelia_Ve) December 20, 2024
Comme l'explique Dominique Godineau il s'agit d'une vieille insulte sociale : "Au XVIIIe siècle, des marchandes de la Halle viennent se plaindre au commissaire de police d'avoir été traitées, entre autres injures plus répandues (poison, garce, putain, etc), de "tricoteuse""
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D. Godineau fait l'hypothèse d'une "allusion à ces femmes pauvres qui, enfermées dans les Hôpitaux généraux ou les Dépôts de mendicité, étaient occupées, dans un but de moralisation par le travail (9), à tricoter des bas pour le compte de gros marchands qui les exploitaient."
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Avant la Révolution, c'est donc une insulte sociale. Et pendant la Révolution, l'insulte n'apparait pas à n'importe quel moment, mais "après la chute des Robespierristes" c'est aussi une insulte politique (lors de l'affrontement sans-culottes/modérés)
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Mais pourquoi le tricot? Godineau explique que les femmes travaillaient en écoutant les orateurs, mais qu'elles cousaient, qu'elles faisaient de la charpie. Cette gouache célèbre des frères Lesueur est postérieur à l'an II et représente plus une image mythique qu'une réalité. pic.twitter.com/dGu68Uc8lg
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Pour Godineau, c'est justement parce que le tricot renvoie, à l'origine, à la femme dans son espace domestique, qui n'a rien de féroce, au contraire. pic.twitter.com/Q9m1KvzsZB
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D. Godineau "L'antinomie entre ces deux images, celle de la femme douce qui tricote chez elle et celle des furieuses "tricoteuses", a assuré le succès du mot à travers les siècles. Sa pérennité renvoie à une angoisse de l'être féminin qui abrite[rait] en lui des contraires"
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L'image de la "tricoteuse" furie renvoie donc à une crainte : que la femme quitte son espace domestique pour l'espace politique public, qu'elle transforme ses attributs domestiques (tricoter pour ses enfants) en arme, en violence (la pique de l'aiguille à tricoter)
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D. Godineau explique bien cette crainte et ce fantasme "une femme qui suit des délibérations publiques, qui veut intervenir dans la politique réservée aux hommes est aussi monstrueuse, déplacée, obscène même, que celle qui se délecte prétendument de la vue du sang."
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Bref, l'insulte "tricoteuse" renvoie bien plus à un mythe qu'à un réalité historique et exprime une crainte: celle que les femmes sortent de l'espace domestique pour se mêler de la vie politique. Encore une fois je conseille l'article: https://t.co/iGC4V8afdx
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On me parle beaucoup des aiguilles à tricoter dans les avortements clandestins: c'est plutôt une image employée par les féministes ça pour revendiquer leurs droits et leurs luttes. Ça ne va pas avec vraiment avec les insultes de l'avocat. Vous n'avez pas les mêmes refs que lui 😉
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"Tricoteuses" n'a pas fait l'objet d'une réappropriation du stigmate par les concernées, contrairement à "sans-culottes" (terme à l'origine stigmatisant, pour désigner des personnes dites mal-vêtues, qui ne portent pas la "culotte", vêtement plutôt chic)
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Selon Godineau c'est aussi parce que "nombre d'entre eux (les Révolutionnaires avaient la même répugnance que les contre révolutionnaires à voir les femmes pénétrer dans l'espace politique."
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"En faisant d'une image de chaleur une image de mort, en portant un symbole et son contraire, "tricoteuse" a l'avantage sur "furies de guillotine" de stigmatiser non seulement un comportement politique, mais encore celle qui a osé franchir les barrières entre privé et public"
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"La militante politique est désignée par un mot qui, renvoyant à la sphère privée,met en évidence l'anormalité de sa présence dans le monde public. Douces, et donc féminines,les femmes ne peuvent l'être que chez elles; franchi le seuil de leur maison, elles deviennent féroces."
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Allez lire l'article 🙂 et bons tricots 😉 https://t.co/iGC4V89HnZ
— Laélia Véron (@Laelia_Ve) December 20, 2024
Est-ce que l'avocat sait tout ça? Pas forcément, il n'a peut-être même pas la ref à Robespierre. Il suffit qu'il ait entendu souvent "tricoteuses" pour "hystériques-assoiffées-de-sang" et il réutilise le mot dans ce sens là
— Laélia Véron (@Laelia_Ve) December 20, 2024
En tout cas, qu'il ait la référence ou pas (visiblement il l'a), il relaie un mythe historique fondé sur des représentations sexistes et largement utilisé dans les discours anti-révolutionnaires.
— Laélia Véron (@Laelia_Ve) December 20, 2024
On espère que vous avez appris quelque chose. Le sexisme est encore beaucoup trop présent dans notre société actuelle. Heureusement, nous sommes nombreux·ses à lutter contre toute discrimination, y compris sexiste. D’ailleurs, vous connaissez la sélection féministe ? On vous laisse avec celle de la semaine dernière.
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