Par Maxime 17/07/2020

Le métier de professeur est-il encore possible aujourd’hui ?

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Le mal être des enseignants est de plus en plus palpable. Sous-payés, avec des contraintes de plus en plus difficiles à respecter, le métier a du mal à recruter. Entretien avec @proflambda, une professeur qui quitte l’enseignement à la rentrée.

 

Pouvez vous nous résumer votre parcours enseignant jusqu’au moment où vous avez décidé de le quitter ?

 

J’ai commencé ma carrière en tant que prof non-titulaire, entre 2008 et 2012, en travaillant d’abord dans l’académie d’Amiens puis celle de Toulouse. J’ai échoué plusieurs fois au Capes externe malgré mes admissibilités puis en 2012 j’avais l’ancienneté nécessaire pour me présenter au Capes interne, que j’ai obtenu du 1er coup.

 

Le niveau des élèves ne cesse de chuter sans que cela inquiète la classe politique qui fait tout au contraire pour faciliter l’accès au bac. Est ce que l’école est encore un lieu pour s’instruire et se former à un métier ?

 

Penser que le niveau baisse est souvent perçu comme une opinion réactionnaire, et c’est bien malgré moi que je me résigne à faire ce constat, à ma petite échelle. J’y vois deux raisons : la démocratisation de l’accès aux études secondaires durant ces cinquante dernières années, qui s’est faite sans que les moyens nécessaires aient été mis en oeuvre, mais aussi la suppression, réformes après réformes d’heures d’enseignement, qui a bien sûr fragilisé les élèves les plus faibles, au nom de l’innovation pédagogique. En ce qui concerne la démocratisation de l’accès au secondaire, l’intention, louable et nécessaire, d’une école comme émancipatrice et permettant aux élèves de devenir des citoyens éclairés, s’est heurtée à des obstacles difficiles à surmonter car l’État n’a pas mis les moyens indispensables à la réduction des inégalités sociales. La politique ambitieuse de l’État ne s’est pas accompagnée de moyens nécessaires à une mise en oeuvre satisfaisante de cette politique. Ce qui m’amène à mon deuxième point : l’effet délétère des dernières réformes, dont l’effet le plus évident est la perte de la culture de l’effort, pour un nombre de plus en plus important d’élèves. Cette volonté d’en faire le moins possible est due, à mon sens, à la démagogie de ce courant de pensée du pédagogisme, à l’oeuvre dans les politiques publiques d’éducation depuis des années maintenant : il faut faire des activités ludiques, ne surtout pas contraindre l’élève. Cette vision ludique (et très idéologique) de l’enseignement est un simple prétexte pour supprimer en masse des heures d’enseignement, puisqu’on pourrait apprendre autrement et mieux qu’en restant assis derrière son bureau dans une salle de classe. Cela fait 20 ans que les politiques publiques éducatives ne sont établies qu’à l’aune du coût qu’elles représentent et des économies budgétaires nécessaires. Ce n’est pas propre à l’Éducation Nationale, mais c’est désastreux.

Pour ce qui est de la question de l’école comme un lieu de formation à un métier, n’ayant jamais enseigné en lycée professionnel ou en voie technologique, qui sont les formations professionnalisantes par excellence, donc je ne peux répondre à cette question. Je suis depuis quatre ans en poste dans un lycée général, et j’ose espérer que l’école reste encore un lieu où l’on peut s’instruire. Cela dit, la dernière réforme du lycée s’accompagne d’une refonte des programmes, dont le niveau a été fortement relevé dans toutes les disciplines. Ainsi, ce nouveau lycée va s’avérer encore plus discriminant socialement, notamment à cause de la hausse des effectifs dans les classes et de la suppression des heures de dédoublement qui accompagnent la réforme. Les élèves qui pourront continuer à s’instruire seront ceux qui auront déjà un niveau correct où dont les parents pourront suivre la scolarité, voire payer des cours particuliers.

Pour ne pas punir les élèves, les professeurs font peu souvent grève ou de manière non coordonnée. Est ce que ce n’est pas ce manque de cohésion entre vous qui fait que votre profession a du mal à obtenir de meilleures conditions de travail ?

 

Complètement. Si nos gouvernants nous imposent des réformes toujours plus violentes et à un rythme effréné, c’est parce que, de façon extrêmement cynique, ils ont bien conscience qu’elles ne susciteront pas de contestation massive dans la profession. Nous n’arrivons plus à établir un rapport de force nécessaire pour préserver nos conditions de travail, pour préserver surtout des conditions d’apprentissage dignes pour nos élèves. Préserver un service public d’éducation de qualité, en somme. Il y a une tendance très individualiste chez nos collègues : les professeurs de lycée ne se sont pas mobilisés contre la dernière réforme du collège de 2016, de la même manière que les professeurs de collège ne se sont pas mobilisés contre la réforme du lycée mise en place à la rentrée dernière. Et pire encore : les collègues concernés par les réformes ne se sont pas mobilisés, ils se sont résignés et ont une force d’inertie parfois déconcertante. Nos derniers ministres ont eu devant eux un boulevard pour mettre en oeuvre leurs réformes. Dans mon lycée, désormais un enseignant de lettres devra avoir 4 classes de seconde en français pour avoir un service complet, contre 3 auparavant. Et ce, avec des effectifs plus chargés. C’est une dégradation sans précédent de nos conditions d’exercice, qui de plus implique des suppressions de postes. Quand il a été question de boycotter le bac blanc pour protester, l’ensemble de mes collègues de lettres du lycée a refusé de le faire, au nom de l’intérêt des élèves. C’est pourtant ce même intérêt des élèves que la réforme sacrifie allègrement. Il y a une forme de masochisme que je ne comprends pas chez mes collègues.

 

Laissant une grande partie voire toute l’éducation de leurs enfants à l’école tout en ayant peu de reconnaissance pour le métier d’enseignant, les parents d’élèves ne sont-ils pas devenus également un obstacle pour la profession ?

 

Considérant que les enseignants et l’école étaient dans une tour d’ivoire d’où les parents étaient exclus, les concepteurs des dernières réformes ont tenu à leur accorder une place toujours plus importante, ce qui n’a pas été sans conséquence. Les enseignants ont été dépossédés de leur rôle d’expertise : ce sont les parents qui décident désormais de l’orientation de leur enfant, qui peuvent s’opposer au redoublement, à une orientation en SEGPA, ou en lycée professionnel par exemples. Si ce n’est pas toujours clairement explicité par la réglementation, dans les faits les enseignants n’ont plus leur mot à dire. Par ailleurs, de plus en plus de chefs d’établissement sont excessivement attentifs à la réputation de leur établissement et pensent que les parents d’élèves font la pluie et le beau temps. Ainsi, si certains décident de contourner la carte scolaire ou de mettre leur enfant dans le privé, ce seraient des classes qui se videraient et des postes d’enseignants supprimés. Cette vision apocalyptique n’est pas sans conséquences : nombre de proviseurs et principaux sont de plus en plus attentifs aux courriers de contestations qu’ils reçoivent de la part de parents d’élèves, et plutôt que de protéger leurs enseignants, leur demandent de plus en plus de se justifier, voire s’immiscent dans leurs pratiques pédagogiques, outrepassant ainsi leurs fonctions (l’évaluation des pratiques pédagogiques d’un enseignant se fait par l’inspecteur, non par le chef d’établissement). Ainsi, l’autorité de l’enseignant au sein même de sa classe est mise à mal, tout comme sa crédibilité auprès des élèves.

 

Suite à votre thread indiquant votre départ (visible ICI), vous avez reçu de nombreux témoignages de personnes qui pensaient également démissionner ou exprimaient leur mal-être. Pensez vous que l’on peut encore aujourd’hui être professeur et heureux de l’être ?

 

Ma réponse sera très subjective et le résultat d’un sentiment très personnel, fondé sur ma petite expérience : je pense que pour bien vivre le métier d’enseignant aujourd’hui, il faut s’en détacher, ne le considérer que comme un job, sans enjeux, qui permet simplement (mais péniblement au regard de notre niveau d’études) de payer ses factures. C’est d’ailleurs ainsi que l’a présenté le ministère sur sa dernière campagne de recrutement, sur Konbini : un job étudiant, plus sympa que de faire cuire des frites au Mac Do. Les collègues qui ont le sens du service public, qui ont une conscience professionnelle aiguë sont broyés, pris entre le marteau et l’enclume, entre injonctions contradictoires (on l’a bien vu avec la crise du Covid) et leur sens de l’éthique, incompatible avec la mise en application des réformes. Ce sont ces collègues-là qui souffrent, partent, cherchent à partir ou rêvent de partir sans oser franchir le pas, persuadés qu’ils ne sont bons à rien d’autre qu’à enseigner. Pour autant, ils ne sont pas capables de se mobiliser : ce sont ces mêmes collègues qui se résignent, qui ont une véritable défiance envers les syndicats et le terme de « grève » est devenu un gros mot dans les salles des professeurs. Quand on essaie de construire les bases d’un mouvement de contestation, on passe pour l’excitée de service, l’agitée du bocal idéaliste. En somme, selon moi, on ne peut s’épanouir dans ce métier si on le fait pour transmettre un savoir, aider à l’émancipation de nos élèves, en leur permettant de devenir des citoyens éclairés et capables de réfléchir au monde qui les entoure. Pourtant, ce devrait pourtant être la mission première de l’école.

Commentaires 10

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Florian (invité)

Le 17/07/2020, à 13:35

"les professeurs de lycée ne se sont pas mobilisés contre la dernière réforme du collège de 2016, de la même manière que les professeurs de collège ne se sont pas mobilisés contre la réforme du lycée mise en place à la rentrée dernière."
Et de la même manière, aucun enseignant du secondaire ne nous a soutenu , nous les enseignants du primaire, quand pendant des années nous étions encore moins bien payé que eux ( c'est encore le cas actuellement) pour plus d'heures de présence devant élèves et plus de responsabilités ( Surveillance de la récré NBC par exemple)

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Sophia (invité)

Le 17/07/2020, à 19:01

Je pense que nous sommes tous dans le même bateaux, et un peu de solidarité ne nous ferait pas de mal.
J'enseigne les langues vivantes dans un lycée général et technologique, en moyenne 2h30 par classe avec des effectifs à 30 élèves. Il faut les préparer à un examen écrit et oral (les E3C), ce qui sur le terrain est surréaliste.
Les contenus sont très ambitieux et les conditions pour développer les compétences tel que l'expression orale en classe sont impossible.
En ce qui concerne l'enseignant, multiplicité des tâches, en moyenne 180 élèves à l'année, des copies d'E3C à corriger sur le temps libre (en plus des copies classiques) si j'ajoute à cela la coordination d'une équipe de 10 prof et la tâche de professeur principal en tml (Parcoursup... Quel bonheur) je ne compte pas mes heures. Et pourtant je suis souvent accusée d'être une fainéante qui se la coule douce avec ses vacances. J'ai choisi ce métier par passion et aujourd'hui après 15 ans d'enseignement je travaille à une reconversion qui j'espère sera très prochaine.
Je laisse ce métier ingrat aux mauvaises langues qui peuvent si elles en ont le courage se tuer à la tâche pour décrocher le concours et sacrifier toutes leurs soirées à corriger à la chaîne des montagnes de copies.

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Johnny (invité)

Le 18/07/2020, à 15:31

On vous parle de manque de solidarité, et vous jouez à qui en fait le plus ou à qui est le plus délaissé. Bien joué ! On se croirait en salle des profs ^^

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Mafalda (invité)

Le 18/07/2020, à 12:22

Tellement d'accord avec vous Florian! Il n'y a pas de solidarité entre le secondaire et le primaire mais est-ce étonnant quand, comme il est dit dans l'article, nous ne parvenons même pas parfois à l'être au sein d'une école? Les enseignants du primaire pourtant professeur restent considérés comme inférieurs et il serait grand temps que la hiérarchie nous traite de la même manière que nos collègues du secondaire. L'école de la 3e République s'est terminée, il est tant de voir que cette profession est moralement épuisante, physiquement dangereuse avec toujours plus d'élèves et de parents violents et totalement sous-payée ! La crise de l'hôpital, révélée au grand jour avec la pandémie, c'est la crise visible de toutes la fonction publique d'Etat qui suffoque à force de respirer un air composé de rentabilité, d'anonymat et de réformes effrénées.

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Le moulec (invité)

Le 18/07/2020, à 20:51

Bonsoir,
J'ai parcouru vos propos et j'ai eu l'impression d'entendre une personne arqueboutée sur des principes d'une autre époque.
L'innovation pédagogique avec un réel travail d'équipe est une clé audacieuse du travail de prof. La transversalité des savoirs pour l'acquisition de nouvelles compétences que le jeune s'octroie est un challenge enthousiasmant.
Prof en technique depuis presque 30 ans, j'innove, je suscite l'intérêt, je motive les élèves pour qu'ils s'enrichissent à leur rythme. Convaincu des bienfaits de la classe inversée je tends vers la classe collaborative où les rapports sont motivants pour l'acquisition de l'autonomie et donc de la responsabilisation.
Le travail collectif, le travail d'équipe est plus important et nécessaire de façon à ne plus enseigner par le JE mais par le NOUS.
Dommage de ta décision mais je la comprends car les projets d'équipe n'ont pas été au rdv lors de tes prises de fonction.
Cdlt.
Patrick

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Curieux (invité)

Le 23/07/2020, à 19:02

Curieusement, les pays qui se privent des bienfaits de la classe inversée, de la classe collaborative, du travail collectif et des multiples projets sont aussi les pays où les élèves réussissent. Ce sont aussi les pays qui sont en train de gagner la course à l'intelligence, et qui prennent les premières places dans la compétition économique. Pour la France, grâce à nos lubies pédagogiques, c'est : en route pour le sous-développement.

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Kai (invité)

Le 24/07/2020, à 14:02

je je je je je je je
Ca fait beaucoup de "je" pour un soit disant travail en équipe...

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LEFOU (invité)

Le 19/07/2020, à 21:30

Le travail d'équipe. Le nouveau Liemotiv de celles et ceux qui pensent avoir LA solution pour réussir dans ce métier.
Enseigner est un merveilleux métier mais aussi sans les autres et notamment sans un certain nombre d'enseignants qui pour progresser dans leur carrière et avoir les faveurs de leur hiérarchie sont prêt à tout pour faire valoir le sacro saint "travail en équipe".
Oui on peut réussir seulement avec sa classe et sans toujours chercher à plaire à sa hiérarchie. Enseigner par le JE et non le NOUS on y gagne en efficacité, en temps surtout.

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Bardamu (invité)

Le 22/07/2020, à 15:45

Tout à fait d'accord. le "travail "d'équipe, c'est un grand pas vers le "management transversal". A utiliser avec un extrême modération. Une des dernières consolations de ce métier est de pouvoir travailler seul, et précisément d'éviter des collègues qui veulent imposer leurs "pratiques", mais sont trop veules pour faire grève.

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Aze (invité)

Le 24/07/2020, à 13:47

Eh, Le Moulec, tu fumes ?

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