Fuir Daesh : l’histoire de Sari par @koliadelesalle
Parce que quelquefois, 140 caractères c’est trop court pour raconter une histoire, les tweetstory permettent de développer une intrigue sur plusieurs tweets.
Cette nuit @KoliaDelesalle a raconté sur Twitter l’histoire de son ami, Sari Kattea. Nous vous laissons la découvrir :
Une petite tweet-story nocturne les insomniaques ?
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
C’était l’année dernière, j’étais bloqué avec ma voiture de location dans les ruelles étroites de la vieille ville de Sanliurfa.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Je venais de l’aéroport, j’allais vers Kobané, je cherchais mon hôtel et le GPS bas de gamme parlait allemand.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
On m’avait dit que des djihadistes infiltrés traînaient dans la médina et je n’étais pas à mon aise.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Je crevais de trouille en fait.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Avec sa voix d’actrice allemande, le GPS me disait que j’étais arrivé. Or, je n’étais nulle part.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
J’étais punaisé dans les murs de la ville comme un vieux clou.Bloqué.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Un centimètre à droite, un centimètre à gauche. Impossible de sortir la voiture de ce labyrinthe sans tout casser.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Et puis Sari est apparu avec ses 26 ans, sa moustache, son anglais parfait et ses blagues d’informaticien.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Je me suis un peu méfié au départ, mais ses saillies m’ont convaincu qu’il n’était pas du tout un tueur de Daesh.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
C’était un humour à froid, un peu désenchanté, un humour triste.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Un humour pétri de cette autodérision que ne connaissent pas souvent les exaltés, les suicidaires et les nazis.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Il m’a dit qu’il venait de Syrie, qu’il était arrivé en Turquie depuis quinze jours.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Alors, comme n’importe quel Parisien avec un touriste en panne, il a pris deux heures de son temps pour m’aider.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Deux heures de manœuvre au millimètre pour sortir de ce piège grâce à Sari et l'un de ses amis.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
On a un peu frotté les murs avec les ailes, l’embrayage a pris cher, c’était de la marche arrière en côte, mais c’est passé.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Quand on est sorti de ce piège, Sari m’a demandé d’appeler sa copine en Irak. Il avait raté un rendez-vous Skype à cause de moi.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
J’ai expliqué à sa petite amie que son mec avait en effet aidé un pied nickelé français à sortir d’un dédale où il s’était bloqué.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
C’était l’excuse la plus bidon du monde, mais elle y a cru parce qu’elle était vraie.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Le lendemain, j’ai invité Sari au restaurant pour le remercier. Il m’a demandé pourquoi on s’intéressait à Kobané.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Pourquoi l’occident se focalisait sur cette ville alors que la Syrie tout entière brûlait dans l’indifférence.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Sauf les spécialistes, personne en France ne connaît la bataille de Deir ez Zor, la ville natale de Sari.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Elle se déroule depuis 2014. Une offensive de Daesh, comme à Kobané.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Un combat indémêlable entre les forces loyalistes, Daesh et les autres forces islamistes.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Mais aucune frappe occidentale, pas de prise de conscience, pas de médias occidentaux. Sari, lui, y était.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Si vous voulez en savoir davantage sur la bataille. https://t.co/UwTTQYlr4F
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Avec Sari, nos chemins se sont séparés ce soir-là. Je suis parti vers Kobané. Il est parti chercher un petit boulot.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
On s’est quand même mutuellement ajouté sur Facebook. Sur son profil, aucune image de guerre.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Juste des fleurs, de jolis paysages et ce statut, ce message, régulier, adressé à ses proches depuis 2011 : « Je suis vivant ».
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
On a échangé six mois plus tard, par Facebook. Un coucou. Rien de plus. « How are you my friend, take care ».
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Et puis la semaine dernière, juste après la publication de la photo du petit Aylan, je l’ai recontacté.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« As-tu vu la photo Sari ? J’espère que ça provoquer une prise de conscience. Comment vas-tu ? As-tu trouvé du boulot ?»
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Bonjour mon ami ! Je l’ai vue, oui. J’espère aussi que la photo va changer la donne. Mais non, hélas, je n’ai pas trouvé un bon boulot ».
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Il a continué : « D’ailleurs, j’ai décidé de tenter le « voyage de la mort » la semaine prochaine. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Je suis totalement fauché, je n’ai pas les moyens d’aller en Grèce par la terre, alors je vais y aller à nage ».
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Que veux-tu dire par « à la nage » ? Tu vas monter sur un de ces bateaux pourris ? »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Non, je vais nager. Avec mes bras et mes jambes. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« T'es sérieux Sari ? Combien de kilomètres dois-tu nager ? »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Huit kilomètres. Je sais que tu vas dire que c’est dingue. Mais il n’y a pas d’autre option mon ami. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« C’est pas dingue Sari. C'est complètement dingue. Ne fais pas ça. Tu vas te noyer. Où veux-tu traverser ? »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Je te le répète Sari. C’est pas une piscine. Et si tu as une crampe ? Et les bateaux ? C’est trop dangereux. Ne fais pas ça ! »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
– « Comment puis-je t’aider ?»
– « Tu travailles toujours dans la presse ? Si je meurs, raconte mon histoire. »— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Par bonheur Sari n'est pas mort et je raconte quand même son histoire.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Après une longue discussion, il a accepté de ne pas se noyer cette semaine et de tenter sa chance autrement.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Il est encore à Istanbul, et je voudrais vraiment raconter un peu son histoire, une parmi des centaines de milliers.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Je lui ai envoyé quelques questions par email, pour en savoir plus. Il y a répondu aussitôt.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Sari Kattea a aujourd’hui 27 ans. Il est né à Deir ez Zor à 450 km à l’est de Damas.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Avant la guerre, il travaillait comme contrôleur sur un champ de pétrole et finissait ses études d’informatique à l’université.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Au début du conflit, il a rencontré une fille à Alep avec laquelle il a décidé d’aider les gens.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« On a commencé à rassembler des médicaments, de la nourriture, du lait pour bébé pour les distribuer. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Mais après plusieurs semaines, Sari perd soudainement contact avec cette jeune fille.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Je me suis dit qu’elle avait eu un problème avec les militaires de Assad. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Après deux ans de silence, par hasard, sur Facebook, il tombe sur la photo de la tombe de la jeune fille.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Il y avait écrit la date de sa mort sur la tombe. C’était le jour où je l’avais vue pour la dernière fois. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
La jeune femme avait été tuée par un sniper.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
En juin 2014, Sari reçoit son diplôme. Une loi syrienne oblige les étudiants diplômés à faire leur service militaire.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Sari décide de fuir en Turquie. « Je ne rejoindrai jamais une machine à tuer. Je suis moi même incapable de tuer un petit oiseau ».
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Je ne sais pas comment Sari a réussi à traverser la ligne de front et le long territoire contrôlé par Daesh.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Mais il a réussi à passer la frontière turco-syrienne.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Sa mère, sa sœur et un de ses frères vivent toujours à Deir ez Zor.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Ils sont bloqués là-bas, ils souffrent, pris en tenaille entre Daesh et les forces du régime. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Sari a un autre frère qui habite en Allemagne. Et c’est en Allemagne qu’il veut se rendre.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Il communique avec sa famille et avec sa petite amie grâce à Whatsapp, Skype et Facebook. Internet, le dernier lien.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Sari a déjà perdu beaucoup d’amis et de membres de sa famille depuis le début de la guerre.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Et ne pense pas qu’il reverra un jour sa ville ou sa famille. « Nous avons perdu la Syrie »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Son pire souvenir ? Quand un missile tiré d’un avion de chasse des forces loyalistes a détruit l’immeuble voisin du sien.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Il a attendu la mort avec toute sa famille. Elle a frappé à côté.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Le pire, c’est la mort, la mort sous toutes ses formes, auxquelles les Syriens sont confrontés. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Noyés, brûlés, gazés, enterrés vivants… C’est horrible… »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Son "meilleur" souvenir ? « J’ai réfléchi pendant une demi-heure à cette question. Tu ne vas sûrement pas me croire. Je n’en ai pas ».
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
A Sanliurfa, le réfugié Sari a ouvert un magasin de maintenance informatique avec un ami.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Après sept mois, la boutique a été cambriolée. 27 ordinateurs portables volés en une nuit. « J’étais ruiné. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Alors, Sari est parti à Istanbul pour trouver un meilleur boulot. Il a trouvé un poste dans le tourisme.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Ça n’avait rien à d’un travail « touristique », je trimais 15 heures par jour, 7 jours sur 7, pour 250 livres par semaine. 75 euros."
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Pour la suite de l’histoire, je préfère passer directement la parole à Sari.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« L'avenir ? Cinq ans ? Je ne peux pas me projeter dans l’avenir. Si j’ai la chance de survivre, je… Je ne sais pas en fait. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Je pense tout le temps à ma famille, à ma copine, ils sont tout ce qu'il me reste. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Le pire pour moi dans ma vie de réfugié ? C’est le mot "réfugié" lui-même. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Ici en Turquie, ce mot m’oblige à travailler énormément pour un salaire ridicule ».
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Ce mot fait penser aux Turcs que nous venons ici pour nous bosser, manger, dormir. Que nous n’avons pas de cerveaux, de sentiments. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Pourquoi je voulais partir à la nage ? Je crois que j’avais perdu la foi…
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« Je suis informaticien et je ne trouve aucun boulot pour gagner assez d’argent à envoyer à ma famille.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« … Alors j’ai décidé de partir à la nage tenter ma chance, ou bien mourir au moins en essayant. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
A la réflexion, Sari a quand même trouvé un souvenir rigolo pendant toutes ces années.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
« A Sanliurfa, un GPS pourri a amené un journaliste français devant ma maison qui était censé être son hôtel. »
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Voilà, c’est tout pour ce soir. Je vous donnerai des nouvelles de Sari régulièrement. Désolé pour le flood, as usual.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) September 7, 2015
Voici Sari Kattea :
Merci d’avoir suivi cette histoire.
La fois dernière, on publiait la tweetstory de @KnightOfParis qui nous racontait une touchante histoire de migrant.
Vous voulez aider les réfugiés mais ne savez pas comment ? Cette initiative de Julien Bayou est faite pour vous :
http://t.co/kO6919NVVY le site collaboratif pour recenser les initiatives de soutien aux #refugies et #migrants ! Faites tourner !
— Julien Bayou (@julienbayou) September 4, 2015
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