Être humoriste à l’ère des réseaux sociaux
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Youtube, Instagram, Facebook, Twitter, les gens qui font de l’humour sont partout. Certains ne font que poster des plagiats, d’autres tentent de se faire connaître comme cela. Entretien avec Romain Cheylan, auteur comique et stand-uppeur.
1. De nombreux humoristes qui postaient régulièrement comme toi il y a quelques années ne sont plus présents sur les réseaux sociaux (ou ne font plus que de la communication). En connais-tu la raison ? Est ce par peur de se faire voler des blagues (dont les auteurs sont souvent effacés sur les pages Facebook) ?
Je pense qu’il y a un ensemble de choses :
Déjà les humoristes qui postaient beaucoup il y a quelques années, ont aujourd’hui pas mal d’activités. Par exemple, moi, j’écris depuis des années plusieurs chroniques par jour, et quand c’est ton travail, tu préfères être payé en vrai argent plutôt qu’en likes ou en RT.
A côté de ça, les humoristes font de la scène ou des chroniques radio/Tv et on a donc d’autres moyens d’expression que le fait de juste « écrire » sur les réseaux sociaux, et de toutes façons au final, ça se retrouve souvent en vidéo sur ces réseaux, donc…
Ensuite, c’est vrai que le vol récurrent de vannes refroidit. Et c’est quand même assez incroyable de voir tous les vols et les remix de vannes sur les réseaux quand tu vois comme ces mêmes réseaux sont capables de tomber sur Gad Elmaleh par exemple. Au moins Gad il a eu un petit travail de traduction.
Et pour finir, je parle en mon nom, mais je trouve que le passage de Twitter en 240 caractères lui a fait perdre pas mal de son charme et de sa finesse (ouais le vieux con qui dit que c’était mieux avant). Les images et les gif ont pris le pas sur les images qu’on se faisait dans nos têtes avec les mots, mais c’est très symptomatique de notre société de consommation : on veut tout, tout de suite, et sans faire d’efforts et en réfléchissant le moins possible.
2. Les réseaux sociaux permettent désormais de connaître les opinions politiques des humoristes ce qui ne plaît pas forcément. Par exemple, Franck Dubosc s’est aliéné une partie de son public en critiquant les gilets jaunes. Penses-tu que cela permet aux humoristes de se livrer plus personnellement ou que cela les oblige au contraire à peser chaque mot qu’ils écrivent ?</h1>
C’est vrai que Franck Dubosc a perdu une partie de son public avec cette histoire, mais qui nous dit qu’avec ça il n’en a pas gagné aussi ? On ne sait pas, peut-être qu’après ça tous les membres du Medef ont acheté ses DVD.
Après on dit qu’il faut peser chaque mot aujourd’hui mais je suis pas forcément d’accord, je pense qu’en matière d’opinions on peut dire ce qu’on veut à partir du moment où on est dans la sincérité. Après cette sincérité sera forcément clivante, les opinions ne plairont pas à tout le monde, mais dans la vie on peut aussi continuer à aimer un artiste ou quelqu’un même si on n’est pas d’accord sur certaines choses, et heureusement.
3. De nombreux particuliers créent leurs propres blagues sur Twitter. Certains sont même embauchés par des humoristes pour écrire dans leur spectacle. Est ce que tu y vois une menace pour les auteurs ? Ou au contraire un vent de rafraîchissement de gens qui ne viennent pas de la profession et qui donc pourraient avoir de nouvelles idées ?
La question est plutôt de se dire : mais qu’est-ce que la profession ? Je vois pas la différence entre « un auteur de réseaux sociaux » et un « auteur traditionnel », c’est juste un mec qui est drôle. J’ai bossé pour plein de gens grâce aux réseaux sociaux aussi, je serais mal placé pour mal le voir, déjà ils donnent une visibilité et puis ils permettent de se mettre en contact très rapidement.
Donc non ce n’est ni une menace, ni un vent de rafraîchissement car les auteurs d’internet ne font pas des blagues différentes, ils font des blagues. Par contre je déconseille de refourguer des Gif pour un spectacle, les résultats sont très décevants.
4. Est ce que les réseaux sociaux n’ont pas également assaini le monde de l’humour où le vol de blagues étaient récurrents. Le compte Copycomics a dénoncé les pratiques de Gad Elmaleh mais également de nombreux autres humoristes français. N’est-ce pas valorisant pour ceux qui créent eux-mêmes leurs blagues ?
Non je ne pense pas que les réseaux sociaux ont assaini le monde de l’humour comme un justicier sur son cheval. Une seule personne a révélé des informations comme un journaliste, les réseaux ont juste relayé.
Et comme je le disais plus haut, les réseaux qui critiquent Gad Elmaleh c’est rigolo… Je suis pas là pour me faire l’avocat de tel ou tel humoriste, c’est évidemment une honte de voler des blagues, des axes ou des idées, ça va à l’encontre de l’essence même de notre métier qui est de créer. Mais on ne parle aussi que de gens qui ont pris quelques blagues sur une carrière, à côté c’est des années de travail, d’écriture, de répétitions et surtout de création… C’est juste dommage de se salir en volant plutôt que d’aller embaucher des auteurs pour combler les manques.
Créer ses blagues c’est valorisant, mais avec le plagiat c’est aussi hyper frustrant… C’est comme perdre un 100 mètres contre un mec dopé et qui se fait pas choper, tu te dis « ah c’est pas juste moi je me suis entraîné dans les règles ».
Au final Copy Comic a juste révélé une pratique humaine… Certains achètent leur pain, d’autres le volent, c’est comme ça. Mais avec la « propriété intellectuelle » tout est toujours très flou et encore plus compliqué pour pouvoir affirmer que c’est du vol ou de l’inspiration.
Mais quoi qu’il en soit la majorité du grand public s’en contrefout du vol de vannes, ce qu’ils veulent quand ils vont voir un spectacle, c’est rigoler, point. Ils s’en foutent de savoir d’où viennent les textes, ils ont payé 50 balles une place, ils ont passé une semaine de merde, ils veulent s’évader et pas mener une enquête de Cash Investigation. Et quand tu rajoutes à ça les fans inconditionnels comme on a pu voir en commentaire sous les vidéos Copy Comic genre « c’est pas grave les blagues il les fait mieux que l’original », tu sais que toute cette affaire c’est un pipi dans la mer.
5. Les réseaux sociaux peuvent également rapidement faire décoller une carrière. On l’a vu avec Inès Reg qui d’une simple vidéo Instagram repostée sur Twitter s’est rapidement fait connaître. Est ce que ce n’est pas devenu le passage obligé d’un humoriste et même le futur ? Avant même le passage sur scène ?
Évidemment que les réseaux sociaux sont devenus un passage obligatoire pour se faire connaître, je défie n’importe quelle personne de se faire connaître aujourd’hui juste en faisant des scènes ouvertes dans des salles à moitié vides parmi les 137.000 humoristes francophones.
Le souci c’est qu’aujourd’hui plein d’humoristes débarquent des réseaux sociaux en ayant jamais fait de scène avant et le résultat est souvent catastrophique. Inès c’est le contre-exemple, elle faisait déjà de la scène et avait déjà un super spectacle, sa vidéo ça a été le coup de boost pour pouvoir le montrer à beaucoup plus de monde, mais encore une fois, elle était déjà prête.
Beaucoup de Youtubeurs ou autres arrivent sans jamais être rentrés dans un théâtre, mais le problème c’est que les prods misent souvent sur une personne qui a déjà beaucoup d’abonnés en sachant que ça remplira grâce aux fans, sans se soucier de la qualité offerte et de donner le temps à l’artiste de sortir un truc béton. Le but est de remplir vite pour faire des sous vite, quitte à prendre quelqu’un au détriment du côté artistique, mais ça encore ça va avec la société de consommation… donc j’espère que ça ne sera pas ça le futur et qu’il y aura un petit réveil tant pour les artistes que pour les prods et pour le public.
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