Comment désacraliser les auteurs classiques ?
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Sacralisés par la vieille génération, critiqués ou laissés de côté par la jeune génération, les auteurs classiques ont pourtant de nombreuses choses à nous apprendre. Entretien avec un auteur et professeur de lettres, le créateur du compte @GPoPesie (spécialisé dans l’humour et la vulgarisation littéraire sur les réseaux sociaux) dont les livres sont disponibles ICI.
1. Tout d’abord, qu’est-ce qu’on entend par classique ?
La question est très complexe et il est difficile de donner une définition exacte de ce qu’est un « classique » (que ce soit un auteur ou une œuvre, d’ailleurs les auteurs « classiques » n’ont pas écrit que des « classiques »).
Un classique serait une référence, un modèle, un exemple, une œuvre « de première classe » qu’il faudrait connaître, respecter, admirer voire essayer d’imiter.
Forcément, le classique n’est pas tout de suite devenu un classique (sauf très rares exceptions), le temps a fait le tri, oublié, découvert, redécouvert, réoublié des œuvres. Celles qui tiennent bon deviennent ces classiques qu’on étudie en classe. D’où le raccourci, classique = vieux. Souvent « le classique » est confronté à « l’actualité » et sert à la critiquer (de là le fameux « c’était mieux avant »).
Je dirais que les classiques, ce sont des livres qui font d’abord partie d’un imaginaire collectif (un peu tout le monde les connaît, au moins de nom).
Les classiques, ce sont aussi des livres qui ont eu une influence particulière sur leur art à un moment donné (ce que Jules Verne fut à la SF, Molière à la comédie, Tolkien à la fantasy…).
Un classique, c’est un livre qu’on peut lire des siècles après sa sortie et qui a toujours des choses à nous dire.
Enfin, un classique, c’est pas forcément un truc chiant ou daté.
Pour un avis plus éclairé sur la question, Italo Calvino a écrit un petit livre très riche qui s’appelle Pourquoi lire les classiques qui débute par une tentative de définition (en 14 points) de ce qu’est, justement, un classique.
2. Les jeunes sacralisent beaucoup les auteurs classiques notamment parce que ce sont des livres qui ne sont pas de leur époque, imposés à l’école. Comment leur faire comprendre qu’il s’agit d’auteurs comme les autres ?
On peut craindre les classiques parce qu’il y a une toute une série de distances entre eux et nous. Une distance temporelle, une distance sociale, une distance culturelle, une distance actée (et nourrie) dès la découverte de ces auteurs à l’école (les profs jouent un rôle central dans le rapport que les élèves entretiennent avec ces auteurs classiques et l’attitude d’un professeur peut totalement transformer le rapport de sa classe à une œuvre).
L’élève peut révérer l’œuvre classique comme il peut vouloir s’en détacher, s’en moquer (comme Françoise Sagan qui, élève, a pendu un buste de Molière ou ces bacheliers qui ont traité Victor Hugo de FDP sur les réseaux après une épreuve difficile).
La sacralisation du livre (et des auteurs classiques) a été un long processus et il est difficile de s’en détacher. Il est pourtant bon de rappeler que ces grandes autrices et ces grands auteurs étaient des femmes et des hommes comme les autres. Ils avaient leurs problèmes, leurs mauvaises journées, leurs caractères, leurs victoires, leurs défaites, des éclats de rire et des gastro-entérites, comme tout le monde. Ce n’était pas des Dieux et des Déesses graves, siégeant bien haut dans le ciel de l’Art.
Désacraliser, c’est ramener à l’échelle humaine. Un « classique » n’est pas une œuvre qui tombe par magie de nulle part, un bloc chu par miracle : il s’inscrit dans un contexte de création, politique, historique, économique, culturel, humain. Il faut commencer par ça, et ensuite décomplexer l’approche du classique, notamment par l’humour. Ces auteurs eux-mêmes avaient d’ailleurs, souvent, beaucoup plus d’humour qu’on ne le croit.
3. De même, la vieille génération les sacralise également ne supportant pas la comparaison avec les auteurs contemporains. Que peut-on dire à ceux qui considèrent que “c’était mieux avant” ?
Le débat touche à toutes les formes d’art, depuis toujours, de la peinture à l’architecture en passant (déjà) par le rap ou le jeu vidéo.
Attention cependant, beaucoup de ces gens qui pensent que « c’était mieux avant » ne savent parfois simplement pas ce qui existe aujourd’hui, soit parce qu’ils ne cherchent plus, soit parce qu’ils se laissent tromper par ce qui est massivement diffusé.
Des excellents artistes, il y en a dans tous les domaines, dans tous les arts et dans tous les genres. Ce qui est souvent critiqué par les « c’était-mieux-avantistes », c’est, peut-être, la médiatisation des artistes et c’est là un tout autre sujet.
Je ne sais pas si c’était mieux avant (au fond, peut-être) ; ce que je sais c’est qu’aujourd’hui, on a accès aux choses d’aujourd’hui ET aux choses d’avant alors qu’avant, on n’avait accès qu’aux choses d’avant. Ouais non finalement, c’est carrément mieux maintenant.
4. On reproche enfin aux auteurs classiques leurs opinions de l’époque. Ainsi, certains conseillent de ne plus lire Victor Hugo car il a eu des propos racistes. Le contexte de l’époque permet-il de séparer l’œuvre de l’artiste et ainsi de pouvoir lire ces livres sans jugement moral ?
Encore une question très complexe (et encore plus clivante). Comme je l’ai dit précédemment, je pense très honnêtement qu’une œuvre doit impérativement être rattachée au contexte politique, social, économique et culturel dans lequel elle a vu le jour.
Le cas de Victor Hugo est assez passionnant et mériterait une plus longue étude. Oui, Victor Hugo a tenu des propos qui aujourd’hui nous scandalisent (et à raison).
Mais Hugo était pourtant très progressiste à son époque, et souvent en avance sur bien des sujets (contre la peine de mort, contre l’esclavage, le travail des enfants, il a également lutté pour le droit des femmes, pour la liberté politique, contre les violences faites aux animaux…).
Bien sûr qu’il n’était pas en tout point parfait (qui peut prétendre l’être ?).
Le problème vient probablement, en partie, du fait que la République (se cherchant des figures tutélaires) a rapidement érigé Victor Hugo comme une sorte de figure héroïque et noble (gommant ses aspérités, ses défauts, ses faillites). C’est la confrontation de ce fantasme au réel qui peut choquer les gens. « Ah, ce grand homme qu’on m’a tant vendu a dit ces choses horribles ? »
La colère des gens répond peut-être également à ce sentiment diffus de trahison.
Hugo a vécu 80 ans et ses idées politiques ont connu une évolution longue et constante. Il aurait pu changer de position avec le temps, mais cela ne correspondait pas à son époque. Il était persuadé que la civilisation française (européenne) était supérieure aux autres et devait s’étendre (une idéologie centrale au XIXe siècle), c’est un fait. Croire que cela pouvait se faire sans conséquence et sans violence doit tenir d’un aveuglement total, un peu idiot peut-être.
Toujours est-il que juger le passé avec une certaine hauteur, une sorte de supériorité historique ne peut pas mener à grand-chose. Que Victor Hugo ait tenu des propos racistes, au fond, qu’importe. Ce qui importe, c’est pourquoi il a tenu ces propos à une époque, pourquoi ses défenseurs ne sont pas à l’aise avec cette facette du personnage, pourquoi ces propos sont critiqués aujourd’hui, pourquoi ils blessent, pourquoi ils énervent encore.
Pourquoi un homme si intelligent a pu dire ces choses, qu’est-ce que cela dit du monde dans lequel il vivait, qu’est-ce que cela nous apprend sur la pensée qu’était celle de l’Europe et de la France à l’époque, qu’est-ce que cela nous dit des faillites de cet Humanisme qu’on nous a pourtant vendu comme le paroxysme de la pensée : voilà ce qu’il faudrait se demander.
Dans tous les cas, il ne faut jamais interdire ou « ne pas lire, ne plus lire ». Pour comprendre, il faudrait au contraire lire encore plus, montrer, étudier, explorer, ne rien voiler, essayer d’expliquer.
Si on explore les défaites, les contradictions, les défauts de ces grands hommes, ce devrait être moins pour les juger (ils sont partis depuis bien longtemps, ils s’en cognent) que pour les comprendre, éviter de reproduire leurs erreurs pourquoi pas.
5.Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à des personnes qui ne pensent pas ou restent impressionnées par lire les auteurs classiques ?
Je vais donner 17 conseils :
1- Forger sa propre liste de classiques au fil de ses lectures.
2- Lire ce que l’on veut et à son propre rythme.
3- Aller dans les bibliothèques, ne pas en avoir peur, traîner dans les librairies.
4- Utiliser Internet, faire des recherches, regarder des vidéos, actualiser son rapport au livre.
5- Bien prendre le temps de lire, ça ne sert à rien d’aller vite.
6- Éviter d’écouter les gens qui ont un ton péremptoire, « il faut lire ceci, tu dois lire cela.».
7- Relire les livres. Lire Le Petit Prince à 10 ans, le relire à 30 puis à 60. La lecture sera différente à chaque fois.
8- Trainer près des boites à livres, on peut tomber sur des pépites ou des choses qu’on n’aurait probablement pas lu sans le hasard de ce don, de cette rencontre.
9- Échanger sur les réseaux avec d’autres lecteurs.
10- Se constituer une bibliothèque personnelle, avoir toujours quelques livres qu’on aime chez soi. Avoir toujours un livre sous la main, même si c’est pour n’en lire qu’une page ou deux.
11- Trouver un style, un genre qu’on aime particulièrement et l’explorer.
12- Casser les idoles : se dire que nous, lecteurs, sommes faits de la même matière que les auteurs ; ce ne sont pas des dieux, juste des gens qui ont beaucoup travaillé.
13- Humaniser les livres, ne pas les sacraliser.
14- Installez-vous confortablement pour lire, il faut être dans de bonnes conditions pour apprécier un livre (personnellement, j’aime beaucoup lire en marchant).
15- Abandonner une lecture si elle est trop ennuyeuse ou qu’on n’accroche pas. Ce n’est pas grave, on pourra y revenir plus tard (ou jamais d’ailleurs).
16- Ne pas avoir peur d’avoir un avis divergeant : vous avez le droit de ne pas aimer un classique, personne n’a le droit de vous le reprocher.
17- Trouver du plaisir dans la lecture. La littérature est un art mais reste aussi un divertissement. Il faut passer un bon moment face à livre (qu’il nous fasse rire, nous étonne, nous choque ou nous émeuve).
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