Par Maxime 29/07/2020

Ces blagues sur les élèves en SEGPA qui leur font du mal

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Régulièrement ridiculisés, sur les réseaux sociaux notamment, les élèves de SEGPA vivent dans un climat constant d’auto-dénigrement. Entretien avec @rachidowsky13 professeur des écoles en SEGPA (dont le livre Les incasables sortira le 27 août chez Robert Laffont).

 

1. Tout d’abord, que veut dire l’acronyme SEGPA ? Et comment cela se traduit-il concrètement ?

 

Il s’agit d’une section où se retrouvent les collégiens dont les difficultés scolaires sont trop graves et persistantes pour emprunter un cursus normal. L’élève y suit une scolarité adaptée, dans une classe à effectifs réduits. Les matières sont les mêmes qu’en cursus ordinaire, mais le rythme est plus lent et le niveau revu à la baisse. A partir de la quatrième, la part des enseignements généraux est réduite au profit de la découverte des milieux professionnels grâce à des ateliers et des stages en entreprise. Compte tenu de ses difficultés, on considère qu’à son entrée en sixième, l’élève de SEGPA n’a pas acquis les compétences attendues en fin de CM2. Il a donc face à lui des professeurs des écoles polyvalents chargés de l’aider à y parvenir.

 

2. Le mot SEGPA est très connoté négativement, sur les réseaux sociaux
il est même fréquemment utilisé comme insulte. Pourquoi une telle stigmatisation ?

 

Même en dehors des réseaux sociaux, cet acronyme a dépassé son sens et sert d’insulte. Il décrit, nous dit le site internet dico2rue.com : « Quelqu’un de pas très intelligent, dont on se moque. » Mais le problème est selon moi plus global, on se moque des SEGPA pour la même raison qu’on faisait portait des bonnets d’âne aux « cancres » autrefois : parce qu’on considère qu’un élève qui fait face à des difficultés scolaires est un enfant qui manque de valeur.

 
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Et je crois que la source de cette stigmatisation se trouve dans l’esprit de compétition qui empoisonne l’Ecole et qu’elle entretient aussi à certains égards. Alors qu’elle est un lieu où chacun doit apprendre à son rythme, on lui attribue la fonction malsaine de décider qui est le plus intelligent et qui est le plus digne de respect. La méritocratie est également en cause car à partir du moment où on considère que « quand on veut on peut », alors l’élève en difficulté est seul responsable de son échec.
Quand on regarde l’histoire de la prise en charge des élèves à besoins éducatifs particuliers, on se rend compte que l’Ecole a elle-même participé à cette stigmatisation : les archives de l’époque font apparaître d’autres catégories comme « les idiots », « les crétins », « les imbéciles », « les imbéciles moraux », « les arriérés », « les déséquilibrés », ou encore «les ingouvernables».

 

Mais on se rend compte aussi que, depuis les lois de Jules Ferry, l’Ecole a fait beaucoup d’efforts pour ne plus nourrir cette stigmatisation. Au reste de la société maintenant de considérer l’Ecole comme ce qu’elle est réellement : un lieu d’émancipation, d’apprentissage, d’entraide, de partage, et non un espace de tri sélectif.

 

3. Cette stigmatisation ne pousserait-il pas certaines familles à
refuser du coup cette orientation alors qu’elle a justement été créé pour les aider ?

 

Évidemment, on peine à convaincre certains parents que la SEGPA est l’orientation qui convient le mieux à leur enfant. Les familles ont parfois une vision négative et déformée de cette section et bien évidemment l’orientation ne peut pas se faire sans leur accord. Hors de question cela dit de les stigmatiser, eux-mêmes sont des victimes collatérales de ce dont je parlais précédemment et admettre que son enfant a des difficultés à l’école peut-être extrêmement difficile. Ils peuvent se sentir coupables et jugés par l’institution.

Il est tout à fait normal que les parents soient maîtres de cette décision cruciale, et ils peuvent parfois avoir d’excellentes raisons de refuser une telle orientation. Mais il est aussi très important qu’ils y réfléchissent en se débarrassant des préjugés qu’ils peuvent avoir vis-à-vis de la SEGPA et c’est pourquoi bien souvent on les invite à venir voir comment on travaille avant de décider.

 

4. De la même façon, l’humour est souvent utilisé à leur dépend. Par exemple, le personnage de Mamadou SEGPA, très populaire auprès des jeunes, continue de véhiculer l’image du SEGPA peu intelligent. Comment faire comprendre aux jeunes que sous couvert d’humour, ces clichés peuvent être blessants et difficiles à supporter ?

 

« Il existe même une web série soi-disant comique sur Youtube intitulée « SEGPA » qui totalise un million et demi d’abonnés et plus de cent millions de vues. On y suit le quotidien d’une bande d’abrutis faisant face à un professeur autoritariste chargé de les recadrer à coups de brosses et de prises par le col. Inutile de dire que cette production n’attache aucune importance à la réalité de ces classes et se contente simplement de véhiculer des clichés fortement stigmatisants sous couvert d’humour.

 
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Je crois que tant qu’on n’a pas partagé le quotidien des élèves de SEGPA, on ne peut pas réellement comprendre le tort que leur font ces « blagues » : la portée de chacune est une simple gifle dont la trace disparaît le jour même, mais leur amoncellement quotidien, lui, est un supplice. On m’explique parfois qu’ils doivent prendre cela avec humour, mais imaginez un instant qu’on vous rappelle dix, vingt, cent fois par jour que vous êtes bête : non seulement vous allez finir par le croire, mais vous allez même tout faire pour coller à l’image qu’on se fait de vous. C’est ce qu’on appelle l’effet Golem : par un jeu de rétroactions dont je n’ai jamais compris le détail, on finit toujours par tendre à l’idée que les autres se font de nous. Le sociologue Robert K. Merton appelle cela l’effet Pygmalion quand il est positif et Golem quand il est destructeur, en référence au personnage de la mythologie juive fait d’argile, incapable de parole, dépourvu de libre-arbitre et entièrement façonné par les autres.

 

5. Tout ce qui sort du circuit scolaire classique est mal vu, on peut
citer également le cursus technologique. Est ce que le problème n’est finalement pas plus global ? L’éducation nationale et le système ne doivent-il pas évoluer vers plus de respect des compétences de chacun (notamment manuelles)  ?

 

Je vais défendre une unpopular opinion comme on dit sur Twitter, mais je ne crois pas que certains soient naturellement plus doués pour les compétences dites manuelles, et d’autres pour les compétences intellectuelles. En réalité, je crois que cette dichotomie entre le manuel et l’intellectuel n’a pas lieu d’être et les métiers dits « manuels » nécessitent eux aussi de la réflexion et des connaissances théoriques.

 
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Bien sûr qu’on doit mieux respecter les filières professionnelles et cela passe forcément par une revalorisation des métiers qui en découlent, mais on doit aussi ne rien lâcher sur notre volonté de faire acquérir à tous les élèves certaines connaissances et compétences.

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