Mon expérience en tant que jurée d’assises (ce qui vous arrivera peut-être un jour et que vous ne pourrez pas refuser)
Une internaute raconte son expérience en tant que jurée d'assises.
La justice, tout le monde à un avis dessus. Mais lorsqu'on devient soi-même juré(e), c'est une autre paire de manches.
Un jour, il est possible que vous receviez dans votre boîte aux lettres un courrier vous informant que vous avez été tiré au sort pour être juré devant la cour d’assise. Vous participerez alors aux côtés des magistrats professionnels au procès des personnes accusées de crimes. Une expérience, aussi stressante que déroutante, que nous raconte @archiptere. Prenez des notes : ce sera peut-être vous la prochaine fois.
Mon expérience en tant que jurée d’assises :
J'ai été jurée d'Assises.
J'en avais parlé ici lors de mon tirage au sort, mais je n'ai jamais raconté le déroulé, alors c'est parti
Qui peut être juré ? Comment se déroule un procès vu depuis "l'autre côté" ? Thread sur l'une des expériences marquantes de ma vie👇 https://t.co/38XrodbpQT
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Vous le savez sans doute mais n'importe quel citoyen de + de 23 ans et inscrit sur les listes électorales peut être appelé à siéger en Cour d'Assises, pour y rendre la justice sur les crimes les plus graves commis dans la société. C'est rare, mais ça peut arriver
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
C'est un fonctionnement qui remonte à la Révolution, mis en place pour rompre avec la justice royale et rendre ce pouvoir au peuple. C'est un devoir et à ce titre c'est obligatoire, sous peine de 3 750€ d'amende si vous ne vous présentez pas.
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Votre employeur doit vous laisser prendre un congé (sans solde, en général) et le tribunal vous verse (longtemps après) une indemnité identique pour tous : environ 100€/jour de comparution + 11.88€/heure de travail manquée
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Une fois par an, les mairies tirent au sort des dizaines ou des centaines de noms qu'elles transmettent au tribunal, pour constituer une liste annuelle de jurés potentiels. En général on en est averti par courrier, moi c'était un coup de téléphone :https://t.co/z9jpp1tA3M
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Certains n'auront plus jamais de nouvelles ensuite, d'autres seront rappelés. Au fil de l'année suivante, le tribunal va procéder à d'autres tirages au sort dans cette liste pour constituer un "pool" de jurés pour chaque session d'Assises, qui dure je crois une 15aine de jours
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Si notre nom sort de nouveau, on est convoqué au tribunal sur une session donnée, parmi plusieurs dizaines d'autres personnes. On peut ensuite être de nouveau tiré au sort pour 1 ou plusieurs procès de la session
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Je me suis donc pointée à 8h30 pétantes au Palais de Justice (pas compliqué j'habite à 200m). Fouille à l'entrée, rassemblement dans la cour comme en classe découverte, et tout le monde entre dans la salle d'audience, où j'ai passé bien 20 minutes à baver en regardant le plafond pic.twitter.com/6hrqyDiB9F
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
C'est un peu comme à la JAPD, il y a toutes les catégories de population imaginables, de l'ingénieur nucléaire à la femme au foyer en passant par le pépé de 85 ans. Tout le monde est un peu intimidé, vaguement inquiet, on se tient très droit en se jetant des regards en coin
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Rapidement on papote un peu avec les voisins, certains sont terrorisés aux larmes d'être là, d'autres intéressés, d'autres n'en ont rien à faire et veulent juste rentrer chez eux. Certains viennent de loin, de l'autre bout du département, et ont dû prendre un hôtel en ville
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
La première matinée est consacrée à l'appel des jurés et à l'examen d'éventuelles demandes d'exemption. C'est étudié au cas par cas : astreinte professionnelle (refusée), femme hospitalisée (accordée), âge avancé (accordé, d'autant qu'il était venu en pull de Noël)
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
S'ensuit 1h de formation accélérée où on nous explique le rôle du juré, le déroulé d'un procès, ce qu'on doit et ne dois pas faire, etc, avant de partir déjeuner. C'est rapide, l'après-midi même le premier procès doit débuter
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Au retour à 14h, nous sommes toujours côté public mais cette fois il y a la Présidente, ses assesseurs, les parties civiles, les magistrats du Parquet, la greffière, l'accusé et la Défense, pour le premier procès de la session. Le dernier tirage au sort débute
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Nous sommes une trentaine, 8 jurés doivent être tirés au sort pour composer le premier jury (6 titulaires, 2 suppléants). C'est très solennel, avec des boules numérotées mélangées puis piochées dans une grande urne ouvragée noire et or. Mon numéro est tiré
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Il faut alors se lever, passer entre la Défense et le Parquet qui peuvent choisir de nous refuser pour quelque raison que ce soit. Si aucun ne prononce "Récusé", on monte sur l'estrade de la Cour et on s'assoit sur l'un des 8 sièges, face à la salle, à côté des magistrats
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Quand les 8 jurés sont désignés, les autres peuvent quitter la salle et ne revenir que pour le second procès, plusieurs jours plus tard.
Et l'audience démarre immédiatement. On a à peine le temps de réaliser, de se composer face à la salle bondée, que la Présidente se lance
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Ce qui est très particulier c'est que toute la salle attend ce procès depuis des mois, connaît le dossier par cœur, est rompu à l'exercice, et toi tu débarques et en 10min tu comprends que tu as été désignée pour juger un homme dont tu ignorais l'existence ce matin
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Les jurés n'ont pas accès au dossier, ils n'ont que leurs oreilles, leur cervelle, un paquet de feuilles A4 et un stylo. La Présidente déroule, explique les faits, pourquoi l'accusé comparaît, ça va très vite, on essaie de tout enregistrer, on noircit des pages de notes
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Ce procès dure 3 jours, extrêmement intenses, au cours desquels défilent à la barre les témoins, les experts, celles et ceux qui ont côtoyé l'accusé avant et pendant sa détention provisoire. Sa famille, aussi, à charge ou à décharge…
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
…transformant la salle d'audience en une scène de drame familial. C'est très chargé émotionnellement, un grand déballage intime de la vie d'un homme pour tenter de comprendre pourquoi et comment. Il se dit publiquement des choses qui sont restées tues pendant des décennies
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Au milieu de ça, les jurés ont une position étrange : nous sommes au cœur du procès, c'est nous que l'on cherche à convaincre, nous qui décideront de la culpabilité et le cas échéant de la peine. Pourtant personne ne nous regarde, ne s'adresse à nous, nous sommes transparents
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Nous sommes les récipiendaires silencieux, neutres et lisses d'un flot d'informations et d'arguments contradictoires qui doivent, à la fin, emporter notre intime conviction : est-il coupable ou innocent ? Doit-il vivre libre ou emprisonné ? C'est assez vertigineux
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
L'audience est suspendue plusieurs fois par jour, pour permettre à tout le monde de souffler. On sort par une petite porte derrière l'estrade, qui donne sur une petite pièce avec une table, des chaises, du café et des snacks, et c'est comme si on changeait de monde
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
La solennité s'envole instantanément, les magistrates si graves une seconde plus tôt enlèvent leur robe, sortent des clopes et commencent à se raconter les potins du tribunal, on mange des bonbons, on débrief sur un ton léger, elles racontent des anecdotes de procès passés
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Tout au long du procès notre petit groupe de 8 est très entouré, par les magistrats pendant les audiences et par les greffiers pour s'orienter dans le tribunal, répondre à nos questions, calmer les angoisses, amener café et casse-croûte pour nourrir les neurones en surchauffe
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Lorsque la pause prend fin, on entend toute la salle reprendre place derrière la cloison, puis le greffier annonce “La Cour !” et… C’est notre troupe bigarée qui fait son entrée sur l’estrade, chacun essayant d’avoir l’air grave devant l’audience debout. Timides s’abstenir…
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Au fil des jours la succession d’expertises et de témoignages forge notre fameuse “intime conviction”, on apprend à connaître cet accusé, sa relation avec la victime. Puis viennent les plaidoiries, où l’on découvre la force de persuasion des avocats, des deux côtés
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
On doute, on réfléchit, on relit nos notes retraçant les audiences précédentes qui finissent par se mélanger dans nos esprits. On discute, on réfléchit encore, on prend tout ça très au sérieux, le poids de la responsabilité est énorme…
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
A 17h le dernier jour, les débats sont clos, et la Cour se retire pour délibérer. On entre de nouveau dans cette petite salle qui est désormais verrouillée et gardée : personne ne doit entendre ce qu’il s’y passe, et nous ne sortiront qu’avec un verdict.
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Tout ce qu’il se dit pendant ce huis-clos est absolument secret, et rien ne doit jamais en sortir. On a prévu des pizzas, la soirée promet d’être longue. Les 2 jurés suppléants doivent assister aux échanges mais ont interdiction d’intervenir.
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Nous sommes donc 9, 6 jurés titulaires et 3 magistrats. Il faut 7 voix sur 9 pour prononcer la culpabilité, et 5 voix sur 9 pour décider de la durée des peines. En cas de doute, en l’absence d’intime conviction, le juré doit voter non coupable : le doute profite à l’accusé
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Au cours des heures de débat qui suivent, les magistrats nous répondent à nos questions techniques, juridiques, expliquent les subtilités et les rouages des peines. Ils donnent sincèrement leur avis, mais ne dominent pas le débat : nous sommes sur un pied d’égalité
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Si le déroulé d’un délibéré vous intéresse, je vous conseille de voir le film “10 hommes en colère”, tourné à l’époque où la peine de mort était encore appliquée pic.twitter.com/C6WreyyWvD
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Dans le cas de “mon” procès, la Cour a déclaré l’accusé coupable après 5h de délibéré, et l’a condamné à plusieurs années de prison avec mandat de dépôt. Il comparaissait libre, il est ressorti escorté par les policiers pour une incarcération le soir même.
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Je me suis alors retrouvée dans la rue, à minuit passé, complètement vidée, à croiser les proches, les témoins et les avocats qui eux aussi rentraient chez eux. Comme une bulle qui éclate soudainement et nous laisse un peu sonnés
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Comme tous les autres jurés, je me suis présentée de nouveau le lendemain, pour l’ouverture du second procès. J’ai de nouveau été tirée au sort, mais cette fois l’avocat de la Défense a choisi de me récuser, et je n’en étais pas fâchée. Je suis rentrée chez moi
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Au fil des procès médiatiques je lis souvent ici et ailleurs qu’untel doit évidemment être condamné, untel est forcément coupable, untel a reçu une peine trop légère, untel devrait être exécuté. Je crois que tout le monde devrait vivre l’expérience d’un jury d’Assises
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
D’un seul coup, quand la responsabilité de la vie d’un homme nous incombe, quand on a vu ses enfants, les gens qui l’aiment, quand on a entendu le récit de son existence, quand on a vu son regard, on devient beaucoup moins péremptoire.
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Je remercie d’ailleurs Badinter, car si ce procès était difficile, je n’imagine pas une seconde ce qu’il aurait été si notre petit groupe de circonstance avait dû décider d’envoyer ou non un homme à la guillotine. Je ne comprends pas comment ça a pu être un jour possible.
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Je me souviens aussi avoir été impressionnée par les moyens mis autour de cet homme et de son geste inconsidéré. Des dizaines de personnes mobilisées, certaines pendant des années, des centaines de pages de procédure, des palais publics…
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
… Tout cela dédié à rendre la justice, à comprendre, à accompagner, à punir, à protéger, à trouver le juste équilibre pour réparer la déchirure dans la toile de la société. Ça m’a rendue fière, du fonctionnement de mon pays, et de tous ceux qui y travaillent chaque jour
— Nel (@archiptere) November 12, 2025
Bonus :
On reste sur la justice avec un autre procès, celui de Damien et Léo :

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