Comment faire croire aux Mahorais que les « étrangers » sont… comoriens
Mayotte appartient à l’archipel des Comores, mais un récit politique a fabriqué « l’étranger » comorien. Ce récit s’appuie sur le vote d’indépendance, la frontière du visa Balladur et une départementalisation controversée. Il nourrit aujourd’hui la poussée du RN et de l’extrême droite à Mayotte.
Maore est comorienne, mais on a fabriqué « l’étranger »
La construction de « l’étranger » comorien naît d’un déni d’unité de l’archipel dans le droit international. Après 1995, la frontière policière a transformé des voisins en « étrangers de l’intérieur ». Cette frontière nie des circulations historiques et familiales entre les quatre îles de l’archipel (Mayotte, Anjouan, Grande Comore, Moheli). La stigmatisation de l’immigration comorienne s’ancre alors durablement dans l’espace public mahorais.
1974-1976 : un vote, une partition, des résolutions ignorées
En 1974, 95 % des votants de l’archipel choisissent l’indépendance, mais Mayotte vote pour rester française. La France découpe l’archipel, contre l’esprit de l’indivisibilité coloniale rappelé aux Nations unies. L’Assemblée générale réaffirme ensuite, à de multiples reprises, la souveraineté comorienne sur Mayotte. L’OUA puis l’Union africaine demandent le respect de l’intégrité territoriale des Comores. Malgré ces textes, Paris avance vers la départementalisation et consolide sa présence juridique.
Le visa Balladur : une frontière policière et une hécatombe
En 1995, le visa Balladur matérialise une frontière policière entre Mayotte et le reste des Comores. Cette mesure fracture un espace de mobilités anciennes et fabrique l’illégalité des traversées familiales. La clandestinité augmente, avec des morts par centaines chaque année en mer, on renommera même ces évênements “le cimetière Balladur”. Des travaux académiques relient le visa à l’essor des kwassa-kwassa et à la crise migratoire structurée. La presse documente un « lagon des disparus », une militarisation inefficace des contrôles. C’est une traversée impossible et très dangereuse pour tous ceux qui la tentent.
Qui voulait « Mayotte française » ?
À la fin des années 1950, les élites mahoraises refusent la rupture avec la France. Marcel Henry et Younoussa Bamana fondent le Mouvement populaire mahorais pour défendre ce maintien. Ils promettent stabilité, emploi public et protection sociale sous la République. Rester français, c’est échapper à la pauvreté et à la domination des élites de Grande Comore et d’Anjouan. Le MPM associe modernité et appartenance française, faisant de Paris le symbole du progrès. Le mouvement construit peu à peu une identité distincte, convaincue que la France représente une garantie contre le délaissement régional.
La France soutient discrètement cette fidélité. En pleine guerre froide, conserver Mayotte permet de maintenir une base stratégique dans le canal du Mozambique. Cette alliance entre intérêts locaux et géopolitiques forge une dépendance durable. En 1974, lors du référendum d’autodétermination, le discours du MPM triomphe. Ce choix, présenté comme un vote de raison, devient le socle d’un isolement historique, celui d’une île coupée de son archipel, mais attachée à une puissance qui continue d’y exercer son autorité économique et militaire.
Du « comorien étranger » à la poussée du RN
La frontière et l’insécurité sociale alimentent un discours où immigration rime avec tous les maux. En 2024, le RN gagne un siège à Mayotte, première percée outre-mer avec La Réunion. Les résultats officiels montrent la victoire RN dans la 2e circonscription, devant Les Républicains. En 2025, des lois restreignant le droit du sol progressent avec l’appui décisif du RN à l’Assemblée. La même logique promeut la suppression du visa territorialisé tout en durcissant la politique migratoire.
Ce que montre l’histoire : l’archipel d’un même peuple
Les liens familiaux, religieux et économiques entre îles rendent vains les murs administratifs récents. La militarisation de la mer n’empêche ni les traversées ni les drames humains récurrents. La « crise » est d’abord produite par un régime frontalier postcolonial et des inégalités structurelles. Le récit de l’« étranger » comorien, construit depuis 1974 puis 1995, sert d’instrument politique durable. Sortir de l’impasse suppose d’assumer l’histoire de l’archipel et d’abandonner la fiction de l’« ennemi intérieur ».
À suivre aussi :

Commentaires 0
Rédigez votre commentaire