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Denis Mukwege : le chirurgien qui répare les femmes

Par Parlons Large 17/09/2025

À Bukavu, le « médecin qui répare les femmes » a bâti un modèle de soin et de justice devenu une référence mondiale. À l’affiche le 24 septembre 2025, Muganga raconte ce combat et rappelle une évidence militante : tant que les corps des femmes sont des champs de bataille, la paix reste un slogan.

Né en 1955 à Bukavu, Denis Mukwege fonde en 1999 l’hôpital de Panzi. Il y invente une prise en charge « holistique » en quatre piliers : soins médicaux, accompagnement psychosocial, aide juridique et réinsertion socio-économique. Ce modèle “One Stop Center” évite aux survivantes de courir d’un guichet à l’autre ; tout est sous le même toit. À ce jour, Panzi affirme avoir traité plus de 80 000 survivantes de violences sexuelles. Ce chiffre, vertigineux, illustre la dimension systémique de la guerre menée contre les corps des femmes en République démocratique du Congo.

 

 

Muganga : un film, une alerte

 

Réalisé par Marie-Hélène Roux, Muganga (2025) mélange fiction et archives pour suivre Mukwege, ses équipes et les survivantes de Panzi. Avec l’acteur Isaach de Bankolé dans un rôle central, le film sortira en France le 24 septembre 2025. Son objectif est clair : mobiliser l’opinion publique au-delà du continent africain.

 

Le titre « Muganga », qui signifie « médecin » ou « guérisseur » en swahili, exprime l’enjeu : soigner les corps mais aussi réparer une société entière, fracturée par des décennies de conflits. Le film fait écho à la reconnaissance internationale du combat de Mukwege, lauréat du prix Nobel de la paix en 2018 aux côtés de Nadia Murad. Cette mise en récit n’est pas anodine : c’est un outil politique, un appel à regarder en face l’impunité des crimes de guerre commis à l’Est du Congo.

 

 

Les chiffres qui forcent à regarder en face

 

En 2022, Panzi a accueilli 6 619 survivantes de violences sexuelles, a accompagné juridiquement 4 452 dossiers et offert 24 000 soutiens psychosociaux. Ces données prouvent que la violence sexuelle n’est pas une succession de drames isolés mais une stratégie militaire récurrente. À l’échelle nationale, une étude parue dans l’American Journal of Public Health estime qu’en 2006, environ 400 000 viols ont été commis en RDC — soit plus de 48 chaque heure. Ces chiffres, souvent repris par les ONG, montrent que l’on parle d’une arme de guerre, pas de faits divers.

 

Pour Mukwege, la vérité est implacable : les violences sexuelles massives servent à terroriser des communautés, à provoquer des déplacements forcés et à assurer le contrôle des zones minières. Les minerais dits « de conflits » — coltan, or, cobalt — représentent jusqu’à 70 % des revenus des groupes armés. La guerre économique se fait sur le dos des femmes. C’est pourquoi son slogan, répété inlassablement, prend tout son sens : « guérir les femmes, c’est guérir le Congo ».

 

 

Soigner, mais aussi obtenir justice

 

Le modèle Panzi ne se limite pas aux soins chirurgicaux. Les patientes reçoivent aussi une assistance juridique, notamment grâce aux « cliniques juridiques » et aux audiences foraines organisées dans les villages. En 2022, Panzi en a conduit 38, permettant de juger des affaires là où la justice reste inaccessible. À cela s’ajoutent des ateliers de formation professionnelle, des coopératives économiques et des caisses de solidarité. L’idée est claire : la réparation doit être complète et passer par l’autonomie.

 

Ce travail se fait sous pression constante. En octobre 2012, le domicile de Mukwege est attaqué par des hommes armés. Son garde du corps est tué, mais lui échappe à la mort. Depuis, il vit sous escorte, preuve que dénoncer ces crimes revient à s’exposer. Le prix Nobel l’a mis sous les projecteurs mais n’a pas réduit les menaces.

 

 

Du bloc opératoire à la tribune : un combat politique

 

Mukwege est médecin, mais il est aussi militant. Son discours d’Oslo en 2018 a résonné comme une dénonciation frontale : « le monde a fermé les yeux sur des décennies de viols massifs ». Depuis, il réclame la mise en place de tribunaux internationaux pour juger les crimes commis en RDC. Il rappelle que la paix sans justice n’est qu’un mot creux.

 

Muganga illustre cette double bataille. Montrer les patientes opérées, mais aussi dénoncer les mécanismes internationaux qui alimentent les conflits congolais. C’est un film qui, à travers une trajectoire personnelle, éclaire un système global — et interpelle directement les spectateurs européens sur leur propre responsabilité.

 

 

Repères rapides

 

  • 1999 : ouverture de l’hôpital de Panzi.
  • 2012 : attaque armée contre Mukwege, son garde du corps assassiné.
  • 2018 : prix Nobel de la paix avec Nadia Murad.
  • 2022 : 6 619 survivantes soignées, plus de 80 000 depuis 1999.
  • 24 septembre 2025 : sortie du film Muganga en France.

 

Pourquoi c’est aussi notre affaire

 

Le viol comme arme de guerre n’est pas un problème « éloigné ». Nos téléphones, nos batteries, nos ordinateurs contiennent du coltan congolais. La mondialisation des minerais connecte nos vies aux conflits de l’Est. Exiger justice, soutenir Panzi, protéger les défenseurs et rappeler la responsabilité internationale est une urgence politique.

 

Muganga n’est pas un simple film biographique : c’est une alerte et une interpellation. Il rappelle que la dignité des Congolaises et des Congolais ne se négocie pas. Le message est simple : guérir les femmes, c’est guérir le Congo. Guérir le Congo, c’est aussi affirmer une humanité commune.

 
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