Les espoirs anéantis de Mustapha
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Ce thread retrace l’histoire de Mustapha et ses espoirs peu à peu anéantis.
Les mineurs étrangers non accompagnés sont particulièrement vulnérables. Leur statut migratoire précaire, souvent marqué par des traumatismes et des séparations familiales, les expose davantage aux situations dangereuses. Les conditions de vie difficiles, le manque de soutien familial et l’absence d’encadrement adéquat peuvent pousser ces mineurs vers les addictions. Les substances peuvent être utilisées comme un mécanisme de coping pour gérer le stress, les traumatismes ou la marginalisation.
Un thread rédigé par @clara_monnoyeur
1/ Aujourd'hui je vous raconte une histoire qui me tient à cœur.
En novembre dernier, un mineur marocain se pend dans sa cellule de prison. Il s'appelait Mustapha, il avait 16 ans. Pour @streetpress on a retracé son parcours, semé de désillusions ⬇️https://t.co/fInjophgge
— Clara Monnoyeur (@clara_monnoyeur) May 6, 2024
2/ Au printemps 2023, Mustapha arrive en France. Il erre avec une trentaine d’autres mineurs marocains dans le 18e à Paris. Leur place attitrée, c’est un square, dans le quartier de la Goutte d’Or. Ils n’ont pas grand-chose à faire : pas d’école, pas de parents, pas de devoir. pic.twitter.com/U8954xY0Sz
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3/ Pas de prise en charge de l’Aide sociale à l’enfance pour le mineur et ses compagnons d’infortune : bon nombre d’entre eux passent sous les radars. Alors c’est la débrouille. Les commerçants du coin filent un peu de nourriture, comme les associations pendant leurs maraudes.
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4/ Le soir, Mustapha rejoint un squat près de la tour Eiffel, place du Trocadéro. S’il n’y a pas de place, ou que son humeur n’y est pas, le Marocain déambule dans la nuit, avant de finir dans une laverie du quartier ouverte 24h/24. pic.twitter.com/b6Qi2DG7ja
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5/ Puis, Mustapha commence à boire. Tout le monde le fait dans le groupe. La plupart de ces enfants ont déjà consommé des psychotropes pour tenir les mois d’attente aux frontières – si ce n’est des années. Ils sniffent de la colle ou prennent des médicaments.
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6/ Mustapha consomme du Lyrica et du Rivotril, appelés « la fusée » et « madame courage » par les gamins. Euphorisants, les pilules le font planer, la réalité est déformée et ses peurs s’évaporent. 2 euros le cachet : c’est le prix que propose la rue pour se détendre et oublier. pic.twitter.com/xERdZQPKNt
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7/ Il n’a pas fallu longtemps pour les rendre tous addicts. Le produit le ravage de l’intérieur. Les mauvaises décisions s’enchaînent : une pomme volée, puis l’étalage, ensuite les sacs à main ou les téléphones des passants… Plus de vols égal plus de drogue.
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8/ Mais l’équation ne comprend pas les gardes à vue à répétition. 7 signalements de la police pour des faits de « vols aggravés » en moins de 6 mois, c’est le palmarès de Mustapha. Le mineur finit par être incarcéré un mois en détention provisoire dans l’attente de son jugement. pic.twitter.com/nkqOgF6jID
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9/ Mustapha s’imaginait-il vivre cet enfer en partant du Maroc à 14 ans ?
Au Printemps 2021, il termine sa première année de collège. Le bon élève est besogneux malgré les difficultés, mais persuadé qu’il n’y a pas d’avenir de ce côté de la Méditerranée.
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10/ Au Nord du pays, dans sa ville de Fnideq son père vend des fruits et légumes. Un petit commerce mis en péril par un accident du travail.
Avec ces moyens de subsistance restreints, la mère, Rahma, commence un petit commerce de contrebande.
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11/ La frontière espagnole est à quelques kms. Toute la région vit de trafics comme celui-ci. Mais en 2019, les autorités marocaines interdisent définitivement l’entrée de marchandises depuis la ville de Ceuta, avant de fermer la frontière pendant la pandémie de Covid-19.
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12/ La famille perd sa principale source de revenus. Mustapha voudrait pouvoir faire quelque chose. Le taux de chômage en milieu urbain dans sa province de M’diq-Fnideq tourne autour des 18%, le double du taux national. Impossible de trouver du travail dans ses montagnes. pic.twitter.com/FL0bWN1ChW
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13/ Et une idée naît : partir en Europe. Ils sont des milliers d’Africains à passer par l’enclave de Ceuta chaque année pour gagner le continent, y compris des voisins. Pourquoi pas lui ?
« Il n’y a pas d’avenir pour moi ici. Je dois partir », lance-t-il à sa mère. pic.twitter.com/jFomFwfL8w
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14/ Sa maman a beau lui répéter qu’il est trop petit, qu’il n’a pas besoin, rien n’y fait : son rêve d’immigration vire à l’obsession. Mustapha arrête l’école et commence les allers-retours en direction de la frontière. Jusqu’au jour où il n’est pas rentré.
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15/ En mai 2021, le mineur réussit à passer la frontière. Au téléphone, sa mère, angoissée et mise devant le fait accompli, voudrait le convaincre de revenir. Mais Mustapha ne fera jamais marche arrière. pic.twitter.com/HRb0g2g3dN
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« Regarde maman comme ma chambre est bien rangée, je fais même mon lit ! »
16/ Mustapha arrive à Valence, en Espagne. Le mineur est vite repéré par les autorités. Pris en charge dans un foyer, il reprend l’école. Depuis le Maroc, sa maman est en lien régulier avec son éducatrice et suit sa scolarité. Son fils est fier et heureux quand il l’appelle : pic.twitter.com/uFauJGljfs
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17/ Son rêve est à portée de main : il espère avoir un diplôme, un travail, des papiers. Mais le chemin tout tracé sans encombre n’existe pas dans la vie de Mustapha.
En mars 2023, un avis de disparition est publié par les services espagnols. pic.twitter.com/vpkUAAnxV9
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18/ Après presque 2 ans, Mustapha a repris son chemin et avance vers la France. Pour quelle raison ? Personne ne sait. Sa mère ne sera jamais mise au courant. Au téléphone, son fils lui ment. Il ne veut ni l’inquiéter ni la décevoir. Elle n’apprendra la vérité qu’à sa mort.
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19/ En septembre, Mustapha passe un mois en détention provisoire au quartier mineur de la prison de Villepinte. Il est finalement condamné à une peine d’emprisonnement de 6 mois assortie d’un sursis probatoire pour ses faits de « violences aggravées ». pic.twitter.com/7QclqOOhP5
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20/ Il ne passera que 24h dans le foyer dans lequel il a été envoyé, malgré son obligation de respecter un placement éducatif. Les fugues seraient courantes pour ces jeunes, qui préfèrent la compagnie de leurs copains et leurs habitudes, aussi destructrices soient-elles.
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21/ Mais dehors, ses potes ne le reconnaissent plus. Les 4 semaines d’enfermement l’ont ravagé. « Il est devenu fou. » Mustapha ne parlera pas de son séjour en prison. La rue le reprend, son insécurité et ses galères aussi.
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22/ 2 semaines plus tard, Mustapha est retrouvé inconscient dans les toilettes d’un restaurant. Une vitre a été brisée, l’établissement est en désordre, et le fond de caisse a disparu. L'ado est dans un état alarmant : ses pupilles sont dilatées et il est incapable de se relever.
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23/ Il ne reste plus grand-chose du petit Mustapha innocent, parti du Maroc pour conquérir le monde. Les médicaments que lui aurait donné un ami lui ont fait perdre tous ses souvenirs, explique-t-il à la juge à son retour devant les tribunaux. Il ne sait pas ce qui s’est passé. pic.twitter.com/ayCR8qXgSz
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24/ Mustapha s’effondre devant le personnel du service éducatif chargé de l’enquête sociale. Il est abîmé. Sur ses bras, des scarifications se mélangent à ses problèmes de peau. Son corps entier est amaigri. Il est placé à l’isolement parce qu’il a des punaises de lit. pic.twitter.com/tCkBcm362B
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25/ L’ado est en détresse, désespéré à l’idée de retourner en prison. Agité, le garçon prévient qu’il se suiciderait. Le personnel recommande une prise en charge médicale, au vu de son état physique et psychologique.
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25/ La juge notifie à l’administration pénitentiaire les propos suicidaires quand il est malgré tout envoyé derrière les barreaux, en détention provisoire. Il n’y a plus de places nulle part, ni en centre éducatif fermé ni en foyer.
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26/ La nuit, Mustapha est retrouvé pendu dans sa cellule. Moins de 24h après son arrivée. Mais son cœur bat encore et il est transporté à l’hôpital. Le même mois, 3 autres ados ont tenté de mettre fin à leurs jours dans ce quartier mineur. @Mediapart https://t.co/bVaGS0Zr8e
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27/ « Tu m’as abandonnée, tu m’as laissée, mais moi, je suis venue te chercher ! »
Sa mère à son chevet est dévastée. Des associations ont réussi à la contacter et à l’aider à venir in extremis. pic.twitter.com/yvTWQzOaEI
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28/ Après plusieurs semains à le veiller, les médecins décident d’arrêter les traitements. Sa famille suit sa mort en visio. À 16 ans, Mustapha a été emporté par ses rêves d’enfant. pic.twitter.com/Xx1bWWVakE
— Clara Monnoyeur (@clara_monnoyeur) May 6, 2024
L'article est à lire en entier sur @streetpress, avec les superbes photos de @RVLEQUEUX.
La série de photos est utilisée à titre d’illustration. Ces clichés sont complétés par des portraits que nous a confiés la maman de Mustapha.https://t.co/fInjophgge
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Pour reconstituer son parcours, nous nous sommes appuyés sur les récits de sa famille, militants associatifs ou personnes qui l’ont connu. Les témoignages du personnel de la prison aussi, que nous sommes allés visiter. Nous avons aussi eu accès à un certain nombre de documents.
— Clara Monnoyeur (@clara_monnoyeur) May 6, 2024