Thread : l’Ukraine terrifiée par le retour d’une nouvelle Grande famine
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Malgré les massacres et les crimes de guerre perpétrées par la Russie, on ne peut pas (encore) parler de génocide concernant l’invasion de l’Ukraine. Cependant ce terme, utilisé par les dirigeants ukrainiens, ne sort pas de nulle part.
Un thread de @colinlebedev
Le blé et le génocide. Vu d’Ukraine, ce qui se passe actuellement dans les territoires du sud occupés par la Russie, et notamment autour de Kherson, est une réminiscence macabre et une continuation de la Grande famine, qualifiée en Ukraine de génocide. Fil 🧶. 1/18
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022
La Grande famine est pour l’Ukraine une grande tragédie et un événement fondateur de son identité. En 1931-1933, cherchant à écraser des paysans ukrainiens rétifs au régime sov., Moscou a organisé en Ukraine le "Holodomor", une famine artificielle. 2/18https://t.co/fwHYQzh1h0
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022
On estime à 4 à 6 millions le nombre de victimes de cette famine. Les paysans ukrainiens ont été enfermés dans leurs villages, gardés par l’armée. Toute la récoltes de blé et tous leurs semis ont été confisqués, de même que le bétail et les réserves. 3/18https://t.co/lKOH9UPmXX
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022
La répression a un but punitif. Le pouvoir n’a pas un besoin vital du pot de soupe et du poulet de chaque paysan ukrainien. Il faut faire plier les paysans pour les faire adhérer au système soviétique. Des villages entiers sont décimés, le cannibalisme se déclare. 4/18
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022
Pour l’Etat ukrainien, la famine organisée par Moscou est un génocide. En raison des intentions de l’Etat, mais aussi parce que la répression des campagnes s’accompagne en parallèle d’une extermination des élites intellectuelles ukrainiennes dans les villes. 5/18
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022
Pour les historiens, le débat sur la nature génocidaire de la famine est toujours en cours. Exemple d’arguments du débat: pour l’historien A.Graziosi, le projet n’est pas génocidaire à ses débuts, mais il le devient au fur et à mesure des mois. 6/18https://t.co/UXn9QvX9dw
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022
Dans la société russe, la famine ukrainienne est mal connue, sauf dans des cercles d’historiens insérés dans les réseaux internationaux. Je suis certaine que la plupart des Russes, et aucun des militaires russes tirant sur les civils à Boutcha n’en a entendu parler. 7/18
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022
Mais pour les Ukrainiens, le parallèle est immédiat. Plus qu’un parallèle: une continuité. Une confirmation de l’intention génocidaire continue de Moscou à leur égard. Quand ils parlent de génocide, les Ukrainiens ne font pas pour la formule frappante. 8/18
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022
Or, aujourd’hui, volontairement ou involontairement, la Russie reproduit les techniques des années 1930. Dans la région de Zaporizhya, on rapporte des confiscations du blé que les paysans refusent de vendre à moitié prix. 9/18https://t.co/JqbRZmThYk
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022
Cette information est confirmée par l’adjoint du ministre de l’agriculture ukrainien. On rapporte également des vols de tracteurs et autres machines militaires, emmenés vers la Russie. 10/18https://t.co/x6SPXL453R
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022
Des produits à bas prix (volés ?) en provenance de la région de Kherson, l’une des régions les plus agricoles d’Ukraine, sont vendus en Crimée. « Une excellente qualité et des prix très bas », commente, satisfaite, la chef de l’admin. locale. 11/18https://t.co/HaeTSSGL6J
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022
Dans la région de Krasnoiarsk, en Sibérie, l’assemblée législative locale vote à l’unanimité « l’expropriation des réserves de l’an dernier et de cette année des fermiers de la région de Kherson », au profit des marchés sibériens. 12/18https://t.co/XRPRV6K9HD
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022
Depuis, l’administration de Krasnoiarsk a démenti, en affirmant que son site a été piraté. Mais à vrai dire, une telle décision n’étonnerait personne. Je suis prête à parier qu’aucun membre de l’assemblée n’a entendu parler de la Grande famine. 13/18https://t.co/rIOniX47r3
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022
Je ne me prononce pas sur la nature génocidaire de la guerre actuelle. Comme pour la Grande famine, l’évolution de la guerre transforme les intentions et le modus operandi de la Russie. Ce que je souhaite souligner, c’est le grand aveuglement historique. 14/18
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022
La Russie est d’autant plus malade de son histoire qu’elle ne la connaît pas. Le recours aux violences les plus brutales est facilité par la méconnaissance de l’histoire du stalinisme. La fermeture de Mémorial va de pair avec les massacres de Boutcha. 15/18
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022
Les confiscations de grain n’ont pas (aujourd’hui) la même gravité que les massacres de civils. Mais ils participent à confirmer le projet génocidaire de la Russie. En cela, ils rendent la négociation avec le pouvoir russe difficilement envisageable. 16/18
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022
Comment le pouvoir ukrainien pourrait-il par exemple accepter un maintien de Kherson sous contrôle russe, alors que les indices semblent converger pour dire que la population locale risque d’être victime d’une nouvelle Grande famine génocidaire, un nouveau Holodomor? 17/18
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022
Je ne serais pas étonnée que les élites russes n’aient aucune conscience de la symbolique historique de ce que les militaires sont en train de faire sur le terrain. Et c’est déjà terrible. Mais si le Kremlin en a conscience, c’est encore pire. Fin 🧶. 18/18
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) May 1, 2022