Par TwogFr 12/06/2019

3 questions à @DirAffMed sur l’état des urgences !

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De plus en plus de problèmes de moyens surgissent à l’hôpital et de nombreux membres du personnel hospitalier sont déjà en grève. Sur Twitter @DirAffMed, interne aux urgences, nous donne son point de vue de l’intérieur.

……….

Cela fait plusieurs années que l’on parle de la crise des hôpitaux en France mais les urgences semblent particulièrement touchées. Peux-tu nous expliquer pourquoi ?

 

La situation n’est pas noire ou blanche. C’est une nuance de gris qui tire plutôt vers le gris foncé en ce moment.

Il faut voir avoir une vision globale pour comprendre ce qu’il se passe.
Les urgences sont la plupart du temps la porte d’entrée de l’hôpital où l’on essaye de poser un diagnostic et adresser le patient vers un service adapté à sa maladie (ou le faire rentrer chez lui si c’est pas trop grave).

Actuellement la crise est plurifactorielle :

– Il y a un vieillissement et une augmentation de la population ainsi qu’un manque de médecins de ville qui a pour conséquence l’augmentation du passage aux urgences.
– On a des équipes médicales et paramédicales qui sont soumises à des restrictions budgétaires, en sous-effectifs et avec un salaire très bas.
– Il y a des jours où nous n’avons plus de lit dans les services de l’hôpital, cela bloque le flux de patients et les urgences s’engorgent.

Donc on arrive à des situations pour le moins tendues avec, par exemple pour ma dernière garde, une patiente de 95 ans en train de s’uriner dessus dans les couloirs : l’équipe était trop occupée à maîtriser un type costaud qui menaçait de tout casser car on ne s’occupait pas de son père ; dans la chambre d’à côté, une dame en fin de vie envoyée par une EHPAD, rendait son dernier souffle faute de lit de soins palliatifs disponibles dans l’hôpital.

Les gardes comme celles-ci sont devenues la norme.

Alors pour répondre synthétiquement à la question posée, la situation est tendue parce qu’il y a plus de patients et moins de moyens. On en parle plus parce que c’est les urgences, et tout le monde y passera une fois dans sa vie mais beaucoup d’autres services sont également touchés.

 

Le gouvernement actuel subit beaucoup de critiques sur la gestion de cette crise. Penses-tu qu’il en est responsable ? Plus largement, à quand remonte pour toi cette crise des hôpitaux publics ?

 

La santé étant financée par le public, elle est un enjeu politique majeur au même titre que l’éducation et la sécurité.
Le problème avec la politique c’est que les types sont élus pour 5 ans, font des promesses pour avoir le maximum d’électeurs avec des projets à court termes pour satisfaire tout le monde.
La santé c’est du long terme, c’est de l’anticipation, ça ne marche pas avec la temporalité politique.

Pour prendre un exemple concret, le manque de médecin est le fait d’une décision vieille de 40 ans où les législateurs se sont dit « si il y a moins de médecins, il y aura moins de dépenses et on fera des économies à la sécurité sociale ».
Je n’étais pas né à l’époque mais visiblement l’idée à du plaire sur le moment. Ils ont du oublier que la population allait grandir et que les médecins allaient partir à la retraite.

Il y a également eu les réformes de Roselyne Bachelot sous Nicolas Sarkozy et celles de Marisol Touraine sous François Hollande qui ont eu des effets pervers sur le système de santé.
Des gens beaucoup plus compétent que moi pourraient en parler pendant des heures, la question est complexe.

Pour essayer de faire synthétique encore une fois : tous les derniers gouvernements depuis une vingtaine d’année ont leurs responsabilités. C’est une accumulation d’erreurs.

Les contradicteurs pourraient arguer d’une nécessité permanente de « limiter les dépenses » et que toutes les réformes ont été faites dans ce sens.
On me reprochera peut-être d’avoir une réflexion type « café du commerce », mais le budget de l’hôpital s’élève à 82 milliards/an, l’évasion fiscale coûte 100 milliards.
De l’argent, on en a. Allez le chercher, dépensez le mieux, c’est votre boulot et ça devient notre problème.

Le gouvernement actuel n’est pas plus incompétent que les autres. Par contre au niveau communication, ils ont franchement déconné.
On a vu des représentants se plaindre des arrêts maladies utilisés en période de grève.
En s’attaquant aux moyens utilisés par les soignants, ils renforcent cette impression de dialogue de sourd déjà présente ; ils disqualifient la souffrance.

Je leur conseillerais de faire très attention aux mots employés.

 

Le personnel gréviste est en train de se radicaliser (arrêts maladie, gardes non assurées). A ton avis, un durcissement du mouvement est-il à craindre ?

 

Avec la possibilité de réquisition du personnel gréviste pour assurer la continuité des soins, l’impact ressenti par la population est minime.
Imaginez si les cheminots mettaient juste un brassard « en grève » et que les trains continuaient de fonctionner. Tout le monde s’en foutrait.

Le personnel de Lariboisière, Saint-Antoine et Lons-le-Saulnier en se mettant en arrêt maladie deviennent « non réquisitionnable » ; le message est lourd de sens « je ne suis pas assez en bonne santé pour m’occuper des malades »

Il faut beaucoup de courage, un service qui se met en grève augmentent paradoxalement sa souffrance en fonctionnant avec des moyens encore plus précaires.

Le mouvement peut s’étendre au niveau géographique mais en terme de moyen d’impact, nous restons très limités.

Un pays peut fonctionner difficilement sans transports en commun pendant une semaine
Un pays peut fonctionner difficilement sans collèges et lycées pendant une semaine
Un pays ne peut pas fonctionner sans hôpitaux pendant 24h.

Pour conclure, il est important de rappeler qu’il ne s’agit pas d’une grève des « médecins urgentistes » mais bien d’une grève des urgences.

Vous les croiserez peut-être en allant au travail ; ils ont les yeux cernés, l’infirmière qui a tenu la main d’une personne âgée pour la rassurer, cette aide soignante qui s’est tuée le dos pour laver un patient handicapé, ce médecin qui rentre la boule au ventre à l’idée d’avoir fait une erreur dans sa prise en charge.

Prenez soins de vos soignants !

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