Thread : et soudain… la guerre.
Nicolas Delesalle est grand reporter à Paris Match. En Ukraine depuis quelques jours pour couvrir le début des tensions à l’Est du pays, il raconte quotidiennement sur Twitter – avec des mots toujours soigneusement choisis – ses échanges avec les habitant·e·s. Car derrière les faits et les informations délivrées en continu sur nos écrans, il y a des familles, des hommes, des femmes, des jeunes, des moins jeunes. Des gens qui ont tout à perdre.
Un thread de @KoliaDelesalle
Ça commence jamais comme on l'imagine. Hier, en fin de journée, on traverse les paysages mornes du Donbass, les cheminées des usines d’Adviivka crachent une fumée acre, l’air pue le plastique brûlé, les bagnoles sont rares, les villages ont les pieds dans la boue. C’est lunaire.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
On arrive de Kiev qu’on a quittée le matin même après beaucoup d’hésitations et de savants calculs : Poutine va prendre le Donbass, quand même pas tout le pays. Bien vu. On arrive donc en banlieue de Donestk avec l’idée d’être là où il faut être. L'assaut va être donné ici.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
La nuit tombe, on roule à fond, la ligne de front se situe à quelques km, à portée de tir sur certains tronçons à découvert. La veille, des obus sont tombés sur ce ruban d’asphalte déjà défoncé par l’hiver. Les artilleurs russes réglaient peut-être la mire, il n’y avait personne.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
Soudain, Maks, le chauffeur, éteint les phares. Noir total. Il roule en glissant sa tête hors de la fenêtre et bifurque dans un chemin forestier. Maks est maigre, il a un visage ciselé à la hachette et ses mèches blondes lui donnent une tête de surfeur épuisé.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
Maks pilote comme un pro, mais il parle peu, explique peu. On sent bien que ça le soûle d'être obligé de communiquer, il est fatigué, vraiment fatigué, la guerre lui a creusé les traits, il est à l'os.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
Le chemin serpente jusqu’à une zone plantée de bâtiments fantômes. C’est un ancien collège abandonné. Sur les murs, des prénoms d’ados amoureux du début des années 2000. Vadim&Olga 2003.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
Nous sommes sur un poste médical avancé de la 56e brigade, à 200 mètres de la tranchée séparatiste. On se dit qu'on a trop de chance d'avoir eu l'autorisation d'être là.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
Pour avoir ce sésame, nous avons croisé le sosie vivant de Robin Williams, des yeux verts sous des lunettes rondes, avec une barbe poivre et sel, et ce sourire subtil et malicieux de l’acteur.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
Ça fait bizarre de se retrouver dans le « Cercle des poètes disparus » en plein Donbass. Ô captain, my captain.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
Robin Williams est ici lieutenant, spécialiste en traumatologie, et il nous a dit okay, allez écrire des poèmes avec mes hommes. Nous y sommes. Un Humvee médical floqué d’une croix rouge garde l’entrée.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
Une dizaine d’infirmiers, de médecins, vivent dans cette maison sans eau, chauffage ou électricité. On va pouvoir raconter leur histoire. Passer du temps avec eux. Donner des visages à la guerre, rappeler qu'il y a des destins derrière les analyses géopolitiques.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
Parmi eux, Oleksander, la trentaine, petite barbe taillée, ventre généreux, regard doux. Il nous accueille avec gentillesse, on grille une clope ensemble dehors, il ne parle pas anglais, je ne parle pas russe ni ukrainien, mais on communique très bien.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
Il fait froid et humide, la combinaison parfaite pour communier sous les étoiles autour d’une cigarette. Oleksander est inquiet parce que tout est calme. Pas de blessé aujourd’hui, pas de blessé la veille.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
Voilà quatre jours, des obus de mortiers tombés juste à côté, tuant un homme, en blessant un autre. Depuis, plus rien. Et ce silence ne dit rien de bon à Oleksander. A personne à vrai dire. Maks nous rejoint. Il connaît bien ce poste. Il est photographe avant d'être chauffeur.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
On longe avec lui les bâtiments désaffectés, puis il s’arrête net. On ne peut pas aller plus loin sans risquer gros. La ligne séparatiste est juste là, à deux terrains de foot. Il sait exactement où parce qu'ils ont tiré avec des balles traçantes hier.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
Une brume s’élève juste au-dessus de ce dégradé de gris, entres les bâtiments déserts aux fenêtres crevées et les arbres nus, et ça donne au tableau un air de fin du monde. Assez raccord avec l'ambiance.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
On rentre se coucher dans le capharnaüm qui fait office de chambre. On plaque les gilets contre les fenêtres. On ne dort pas avant longtemps. On écoute tous les bruits dehors. Départ de mortier ? Arrivée ?
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
Vers 7 heures, on se réveille, on boit un café normalement imbuvable et puis la nouvelle tombe. Kiev a été frappée. Oleksander est sonné un instant. Il répète juste trois fois "Poutine" en secouant la tête.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
Maks lui aussi est frappé de stupeur. Il doit rentrer retrouver ses enfants à Kiev. Mais pendant quelques secondes, il n’y croit pas, il refuse d'y croire. Comme nous, comme vous, comme le monde entier à cet instant-là.
— Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) February 24, 2022
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