Thread : à quoi servent vraiment les 500 parrainages ?
À chaque présidentielle c’est la même rengaine. Les candidats qui n’ont toujours pas leur 500 signatures voient la date butoir arrivée et critique ce système. Ainsi Eric Zemmour n’est pour le moment qu’à 300 parrainages alors qu’il lui en faut 500 avant le 4 mars. Les candidats considèrent que s’ils ne pouvaient se présenter, l’élection serait illégitime. Mais savent-ils vraiment pourquoi ces 500 signatures ont été instaurées ?
Un thread de @malopedia
Bon, pourquoi l'argument « un candidat à 15% dans les sondages devrait pouvoir se présenter » est très mauvais : un thread sur les parrainages, que personne ne semble comprendre, y compris notre premier ministre… ⬇️
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Même si c'était 100 parrainages à l'époque, ce système vient de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962. Si cette loi vous parle, ça devrait vous mettre la puce à l'oreille, et sinon, une petite explication s'impose. pic.twitter.com/lF5zhPlGj5
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Cette loi est détestée de tout constitutionnaliste qui se respecte : adoptée à l'initiative de de Gaulle en violation de la Constitution, c'est elle qui a instauré l'élection du président (PR) au suffrage universel direct (SUD).
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Cette loi est une des raisons du semi-présidentialisme batard qu'on a en France, qui transforme ce qui devrait être un régime parlementaire classique en monarchie élective. Si ça vous parle pas, lisez ce fil, c'est important pour comprendre la suite.https://t.co/4K0zPNekXV
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Si de Gaulle à dû violer la Constitution pour faire adopter l'élection du PR au SUD, c'est parce que toute la classe politique (sauf les gaullistes…) était contre cette idée, et ce pour une bonne raison.
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Avec cette loi de 1962, de Gaulle ne viole d'ailleurs pas que la Constitution, mais aussi l'un des points essentiels du compromis de 1958 qui l'a amené au pouvoir : pas de SUD pour le PR. En 1958, il est prévu que le PR est élu par, en gros, les maires et conseillers municipaux. pic.twitter.com/pYACgbuqEW
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Avant ça, sous les 4ème et 3ème Républiques, le PR était élu par ce qu'on appelle aujourd'hui "le Parlement réuni en Congrès", c'est à dire la réunion des deux chambres.
Et encore avant ça… on arrive à la bonne raison pour laquelle la classe politique ne voulait pas du SUD :— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Lorsque la loi de 1962 passe, le précédent président de la République élu au suffrage universel direct (masculin seulement), et le seul, était un certain… Louis-Napoléon Bonaparte.
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Elu à 75% à la surprise générale, sans programme, juste sur son nom, il a ensuite profité de sa popularité personnelle pour faire son coup d'État, re-transformer le pays en dictature et guerroyer toute l'Europe. Tonton avait fait des millions de morts, neuneu se devait de tenter.
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Inutile de dire que cet épisode a calmé beaucoup de monde et montré le danger d'élire un président directement, ce qui explique qu'on ne l'a pas fait pendant toute les 3ème et la 4ème Républiques et que personne ne voulait y revenir (sauf un autocrate comme de Gaulle).
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
C'est dans ce contexte de l'adoption de l'élection du président de la République au suffrage universel direct qu'il faut comprendre le système des parrainages.
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Lorsque la loi de 1962 est adoptée, on perçoit qu'en l'état, elle est dangereuse.
Déjà parce que, sans filtre des candidats, il pourrait y avoir en théorie autant de candidats que de Français, et ça ferait un peu tâche que la présidentielle devienne un cirque…— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Mais aussi et surtout parce qu'il pourrait y avoir de nouveaux Napoléons, de nouveaux Bourbons, de nouveaux Orléans, de nouveaux Boulangers, de nouveaux Pétains… ou de nouveaux Poujades : en 1962, on n'est après tout qu'à peine 5 ans après l'éclosion du poujadisme.
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
D'où cette nécessité d'un filtre. Mais quel filtre ? Le pouvoir qui choisit les candidats, ils y ont probablement pensé, mais après les accusations de coup d'Etat en 1958…
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Alors on peut, comme de Gaulle, ne pas comprendre et détester les partis, mais ils ont un mérite : ils filtrent le personnel politique. Ils gardent peut être des profils qu'on peut ne pas apprécier pour tout un tas de raison, mais ils écartent en général les cinglés autocrates.
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Sans compter que quelqu'un issu d'un parti est tenu par des rapports de force internes, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande, aucun ne pouvait faire *totalement* n'importe quoi sans risquer que son parti ne lui pète dans les doigts. (Cf la dissolution de 97 ou les frondeurs)
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Mais de Gaulle ne peut pas dire « je déteste les partis, mais je vais quand même leur laisser le boulot de filtrer ». Alors on met en place un proxy, c'est-à-dire une manière détournée d'obtenir le même résultat.
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Et c'est comme ça qu'on se retrouve à dire qu'il faut être parrainé par 100 (aujourd'hui 500) élus locaux (et le CESE, bizarrerie vite supprimée) pour pouvoir être candidat.
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
On notera que c'est en 1976 que la barre passe à 500, après la présence de 12 candidats à la présidentielle de 1974 (record égalé depuis en 2007 et explosé en 2002, 16 candidats).
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
L'objectif du système des parrainages est donc d'exclure les candidats qui n'ont pas un minimum de réseaux d'élus locaux, manière de dire "les candidats solitaires, sans structure, les célébrités susceptibles d'être élues uniquement sur leur nom et de se comporter comme tel".
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
(Ca montre au passage que c'est une méprise de s'indigner que "tel parti empêche tel candidat d'avoir ses parrainages en passant consigne à ses élus" comme si c'était un bug du système : non, c'est une feature.)
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
(Par contre, ce qui est un bug, c'est un parti qui va soutenir un candidat de l'autre bord politique pour en fragmenter l'électorat. Petit rappel qu'il faut se débarrasser du scrutin majoritaire.)
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Le système des parrainages est implicitement une rustine à l'élection du président au scrutin universel direct, un moyen d'éviter une nouvelle candidature d'un populiste cinglé anti républicain (ça vous dit quelque chose ?)
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Dès lors, des démarches comme celles de Castex, Bayrou et sa banque des parrainages, Lisnard et son "parrainage civique" rendent encore plus branlant un édifice déjà dangereux, comme j'ai souvent l'occasion de le dire ici.https://t.co/ZouF9NSfCJ
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
Entendons-nous bien, le système des parrainages n'est pas bon, parce qu'on voit avec les Cheminades, Asselineau, Lassalle, que l'objectif d'écarter des candidats sans structure n'est plus atteint : avec de la méthode, cette barrière des parrainages peut être contournée.
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
En revanche, on ne peut pas dire que ce système n'est pas bon au motif qu'il exclut des gens avec des sondages élevés mais seuls, sans structure derrière : c'est son objet. Si le système des parrainages finit par exclure Zemmour, on pourra dire qu'il a fait ce qu'on attend de lui
— François Malaussena (@malopedia) February 23, 2022
(Et franchement, peu importe qui d'autre ce système exclut : si la structure derrière n'a pas été capable de décrocher 500 élus sur environ 42 000 disponibles, est-ce vraiment un parti… ?)
— François Malaussena (@malopedia) February 24, 2022
L'argument "untel est à X % dans les sondages, il doit pouvoir concourir" n'est absolument pas pertinent, au contraire : dans le premier et dernier des sondages de 1848, à savoir l'élection elle même, Louis-Napoléon Bonaparte était à 74%.
— François Malaussena (@malopedia) February 24, 2022
Mais dans le fond, il ne faut pas perdre du vue que le problème du système des parrainages n'est pas tant son fonctionnement, que le fait que faire élire directement le grand chef à plumes monarque absolu n'est pas une bonne idée.
— François Malaussena (@malopedia) February 24, 2022
(Ce qui explique que presque aucun pays démocratique ne le fait, et que quand ils le font, c'est avec de vrais contre-pouvoirs en face, genre un Parlement, une justice et une presse qui peuvent lui résister.)
— François Malaussena (@malopedia) February 24, 2022
Alors on peut supprimer le système des parrainages pour un autre système, mais une rustine reste une rustine : il y a quand même un pneu crevé.
— François Malaussena (@malopedia) February 24, 2022
Et parmi les idées de réformes, l'idée de permettre un parrainage par des citoyens est suprêmement idiote, parce que tautologique, comme j'espère que vous le comprenez maintenant. Le parrainage citoyen, il existe, c'est l'élection elle-même…
— François Malaussena (@malopedia) February 24, 2022
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