Satire : la journée d’un serveur au Café de Flore
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Ah Paris… la ville de l’amour et de la mode. Paris et ses loyers exorbitants, Paris et ses cafés qui font rêver le monde entier (tant qu’on ne les a pas fréquentés). L’amabilité légendaire des Parisien·nes provient d’ailleurs sans aucun doute de ces dits cafés. Voici donc l’histoire fictive d’Hugues, qui rappellera aux habitués de ces lieux parisiens des souvenirs impérissables.
Une histoire de @SamuelFitouss10
La journée de Hugues, serveur au Café de Flore, brasserie parisienne
7 heures du matin. Paris dort encore mais Hugues vient d’arriver sur son lieu de travail. Il dispose les tables en terrasse, place les couverts, plie élégamment les serviettes…
— Samuel Fitoussi (@SamuelFitouss10) May 11, 2022
remplace les journaux de la veille par ceux du matin, réapprovisionne la machine à café et sort se positionner devant la brasserie, mains dans le dos, prêt à nous accueillir. Cela fait maintenant 20 ans qu’Hugues exerce son métier avec passion, dévotion et rigueur.
— Samuel Fitoussi (@SamuelFitouss10) May 11, 2022
Les brasseries, puisqu’elles permettent la flânerie, la lecture et la conversation, sont l’âme de la France, explique-t-il souvent. Et moi, je suis l’héritier et le dépositaire d’une tradition immémorielle : l’art du service à la parisienne.
— Samuel Fitoussi (@SamuelFitouss10) May 11, 2022
Hugues est un héros, notre héros à tous. Mais Hugues ne nous aime pas.
— Samuel Fitoussi (@SamuelFitouss10) May 11, 2022
8h. Premier client. Hugues lui jette un regard agacé et grommelle en désignant une table. Plus tôt dans sa carrière, il aurait pu commettre quelques erreurs – un bonjour, un bonne journée ou pire : un sourire. Désormais, Hugues maîtrise les codes.
— Samuel Fitoussi (@SamuelFitouss10) May 11, 2022
10h. Deux jeunes s’asseyent sans attendre de se faire placer. Hugues se retient de leur infliger la correction qu’ils méritent et prend leur commande avec mépris. En cuisine, il prépare les jus d’oranges pressées selon la recette transmise…
— Samuel Fitoussi (@SamuelFitouss10) May 11, 2022
de serveur parisien en serveur parisien depuis des générations : une quart d’orange et 14 glaçons.
Il apporte l’addition en même temps que les jus, invitant les deux jeunes à ne rien commander d’autre, et idéalement à partir le plus vite possible.
— Samuel Fitoussi (@SamuelFitouss10) May 11, 2022
11 heures. Plongé dans la lecture du Canard Enchainé et dans la dégustation de son petit-déjeuner continental à 18 euros, un homme réclame une carafe d’eau. Hugues consent à lui apporter un petit verre d’eau.
— Samuel Fitoussi (@SamuelFitouss10) May 11, 2022
Une femme âgée cherche à régler son Capucino à 9 euros 80. La carte bleue n’est acceptée qu’à partir de 10 euros, lui apprend notre héros, mais pas de panique, vous trouverez un distributeur à moins de trois cent mètres.
— Samuel Fitoussi (@SamuelFitouss10) May 11, 2022
Une étudiante souhaite s’installer pour boire un café au soleil en finissant son roman. Il est onze heures : si vous ne déjeunez pas je ne peux pas vous servir explique Hugues, pédagogue.
— Samuel Fitoussi (@SamuelFitouss10) May 11, 2022
13h. Au déjeuner, Hugues prend les commandes avec professionnalisme ; il maîtrise à merveille ce geste de la tête, signifiant j’écoute, mais dépêchez vous petits connards car je n’ai pas que ça à foutre. Il ne prend aucune note (il est serveur, pas scribe)…
— Samuel Fitoussi (@SamuelFitouss10) May 11, 2022
14 heures. Très satisfaite de son tartare de boeuf à 29 euros mais en retard pour une réunion, une femme cherche à régler. Hugues lui apporte la note mais pas la machine à carte (ce serait trop facile). Elle ne pourra partir que 26 minutes plus tard.
— Samuel Fitoussi (@SamuelFitouss10) May 11, 2022
15h. Un couple s’assoit pour ce qui semble être leur premier rendez-vous amoureux. Hugues évite au maximum le regard du jeune homme pour l’empêcher d’affirmer sa virilité par son aptitude à attirer l’attention d’un serveur. Réussi : ce premier rendez-vous sera le dernier.
— Samuel Fitoussi (@SamuelFitouss10) May 11, 2022
18h. Hugues s’autorise un pas de côté. Immobile, il observe sa terrasse. Les derniers rayons du soleil dorent les visages et éclairent les sourires. Nous sommes vendredi soir et en cet instant, l’insouciance et le bonheur semblent contagieux.
— Samuel Fitoussi (@SamuelFitouss10) May 11, 2022
Hugues laisse échapper un sourire. Son premier depuis 19 ans. Le peuple français est supérieur à tous les autres, comprend-il, car il est le seul peuple fier de sa paresse, le seul peuple réellement capable de profiter du moment présent…
— Samuel Fitoussi (@SamuelFitouss10) May 11, 2022
de déserter la guerre livrée à l’insignifiance de la vie – l’enchaînement sans fin de causes et de conséquences, de projets à élaborer et de tâches à compléter, de problèmes à affronter et de solutions à mettre en oeuvre – pour se poser en terrasse.
— Samuel Fitoussi (@SamuelFitouss10) May 11, 2022
Un éclat de rire retentit, des étudiants commandent une nouvelle tournée de bières, un retraité lit L’Équipe, une femme griffons sur un Moleskin le premier chapitre d’une auto-fiction.
Et Hugues rapporte à chacun un petit stock de cacahuètes.
— Samuel Fitoussi (@SamuelFitouss10) May 11, 2022